Roman/France 2 janvier Julien Blanc-Gras

Souvent, devenir parent fait naître des besoins de généalogie. Et, vous repositionnant dans la lignée familiale, cela attise la curiosité de mieux connaître le destin de vos ascendants. Dans le cas de l'écrivain Julien Blanc-Gras, ce désir a été renforcé par l'irruption de la violence extérieure dans sa vie de nouveau père. Ecrit entre 2015 et 2018, Comme à la guerre accompagne les trois premières années de son fils, né quelque mois avant l'attentat contre Charlie Hebdo et qui grandit dans une France en état d'urgence. « L'Enfant articulait ses premières syllabes avec le mot guerre en fond sonore. » Le récit se tient dans ce télescopage entre la félicité paternelle et la violence au bas de la rue, dans le quotidien privilégié d'une famille vivant dans le 19e arrondissement de Paris, près du parc des Buttes-Chaumont.

A première vue, le récit peut se lire comme une sorte de suite de In utero (Au diable Vauvert 2015), journal de grossesse dans lequel ce globe-trotter à l'approche de la quarantaine se demandait comment mettre au monde un enfant sans sacrifier sa précieuse liberté. Ici, l'une des questions qui tenaillent celui qui gagne sa vie en la racontant est plutôt comment élever un enfant dans un monde terrorisé. Et c'est dans ce questionnement que naît le retour sur l'Histoire, sur la guerre qu'ont traversée ses deux grands-pères : côté maternel, le caporal-chef Marcel Gibert, qui a tenu un journal intime pendant la Seconde Guerre mondiale, un carnet « écrit sous la mitraille » dont personne n'a jamais eu connaissance jusqu'à ce qu'il le confie à son petit-fils quand ce dernier avait 24 ans. Et les « récits d'engagement tapés à la machine à écrire par le maréchal des logis-chef Blanc-Gras », chef de char puis résistant. Le hasard voulant que ces deux jeunes provinciaux qui ne se connaissaient pas encore combattent à quelques kilomètres de distance, dans la Bataille de France en juin 1940, dans la Somme. Deux « papys » héroïques qui ont consigné leurs expériences à la fois extraordinaires et banales pour leur génération, sans jamais raconter de vive voix les horreurs dont ils avaient été témoins. Et dont les témoignages posthumes éclairent le présent : « Le récit de mon grand-père donne à voir la guerre, la vraie, à l'ancienne. Pas une explosion de terreur soudaine et inattendue, des semaines d'enfer absolu et planifié. Il nous offre une échelle pour évaluer nos tragédies contemporaines  »

Si, dans Comme la guerre, la problématique s'est donc considérablement élargie et durcie, la dérision fait toujours mouche quand Julien Blanc-Gras raconte comment il est désormais entré dans le dur de la paternité : l'épreuve du feu. L'Enfant est donc là. Il pousse bien, expérimentant son élan vital avec l'énergie de l'innocence. « La Femme », sa mère, a repris ses prenantes activités professionnelles. Le père aussi. Quand il n'est pas en voyage (il envoie des déclarations d'amour de Patagonie, du Groenland, d'Inde ou de New York...), c'est un homme au foyer qui récupère son fils à la crèche, est incollable sur les « problèmes des croûtes de lait », affronte avec philosophie l'esprit de contradiction de son rejeton... Mais l'aventurier de la paternité a plus de profondeur de champ. « La paternité, cet aller sans retour, est devenue le voyage le plus contraignant et le plus constructif que j'aie entrepris. J'ai gagné en sens ce que j'ai perdu en liberté. C'est un deal raisonnable. »

Julien Blanc-Gras
Comme à la guerre
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Tirage: 8 000 ex.
Prix: 19,50 euros ; 288 p.
ISBN: 9782234084407

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