La grande blonde

Héléna Marienské. - Photo collection particulière de l’auteure

La grande blonde

Avec Fantaisie-sarabande, Héléna Marienské revient à sa meilleure veine romanesque. Portrait d’une scandaleuse qui sait qu’il n’est de plus grande sagesse que dans sa liberté.

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Par Olivier Mony
avec Créé le 12.12.2013 à 23h25

Lorsqu’elle eut 11 ans, pour fêter la naissance de sa plus jeune sœur, Héléna Marienské entreprit d’écrire son premier roman. Cela s’intitulait « Le tour des mondes » et prit valeur programmatique autant que sentimentale. Du roman conçu comme une exploration sensorielle ouvrant peu ou prou le champ de tous les possibles. Aujourd’hui, la même publie son troisième livre, Fantaisie-sarabande, dont le titre là aussi résonne comme une profession de foi. Ecrire comme on danse, vivre en faisant fi des règles. De l’un à l’autre, il y eut donc quelques faux départs, une énergie jamais démentie, des vertiges qui parfois étaient ceux de la page demeurée blanche, quelques gentils scandales.

Libertaire.

Au bar de la salle de cinéma parisienne où Héléna Marienské se livre, avec une gourmandise parsemée çà et là de réticences, à l’exercice du portrait, elle raconte assez franchement ses zigzags, de la province à Paris (et retour), de l’enseignement à l’écriture en passant par la lecture et cette liberté paradoxale que donne la connaissance voire l’imitation des maîtres.

Reprenons. Au début, il y eut le soleil, celui du Midi, celui de ce petit village à côté de Pézenas, de cette enfance auprès d’une mère prof d’espagnol et d’un père prof d’EPS et figure (maire, conseiller général…) du PC local. Si elle ne croit pas ou plus aux vertus du centralisme démocratique ni n’attend le grand soir, Héléna a dû garder quelque chose de cette folle et vive espérance, un quant-à-soi libertaire, au moins (et si l’on lit ses livres, la politique les traverse, comme l’idée que les bourgeois, au fond, sont bien tous des cochons, et le sexe un instrument de lutte contre l’oppression et les plafonds de verre).

Liberté chérie, donc. A 16 ans, Héléna Marienské s’émancipe. Seules sont les indomptées sans doute, mais dans son cas, entourée tout de même de son amour pour la littérature, né avec la lecture de La chartreuse de Parme et des Confessions. Elle se paiera ses études à Paris, jusqu’à l’agrégation, où elle croise Molière, mais aussi Céline et Beaumarchais. Elle dit : « pour écrire, j’avais besoin de la connaissance approfondie et argumentée des grands textes». Et si on lui demande quels sont ceux, plus contemporains, qui selon elle, entrent dans cette catégorie, elle cite sans ciller Beckett, Perec, le Aragon du Mentir-vrai, Elsa Morante ou Cynthia Ozick. Ce qui dessine un paysage au panorama plus large que les comédies de chambre, voire de lit, à laquelle la doxa voudrait la circonscrire.

L’écriture est chez elle un horizon permanent. Il y eut, on le devine, des tâtonnements, des courriers restés sans réponse. Jusqu’à ce jour où ayant envoyé une suite de nouvelles érotiques pastichant quelques auteurs d’hier à aujourd’hui (ce sera finalement son deuxième livre, Le degré suprême de la tendresse, Héloïse d’Ormesson, 2008), elle reçoit un refus différent des autres. Celui de Paul Otchakovsky-Laurens qui l’incite à essayer un roman. Intriguée par un fait divers lu dans Libération (un singe échappé d’un cirque s’était réfugié dans une maison de retraite dont les pensionnaires refusèrent qu’il soit rendu à ses maîtres), elle obéit. Ce sera l’impeccable Rhésus (P.O.L, 2006) et avec lui un succès qu’elle paiera du prix de sa réputation (en gros, trop douée, trop jolie pour être honnête), et de la fin prématurée de sa relation avec son éditeur, dont elle dit aujourd’hui : « Je regrette que P.O.L ait pu penser que je n’appréciais pas le travail qu’il avait fait pour mon livre. »

Fantaisie policière.

Là voilà donc de retour, mais chez Flammarion, aux bons soins d’Alix Penent (et de Pierre Astier, son agent). Ce sera encore une fois une histoire de gens qui luttent pour leur liberté. Ce sera aussi une fantaisie policière, un Thelma et Louise (plus exactement un « Angèle et Annabelle ») revu à la sauce échenozienne, époque Les grandes blondes. On découvre Angèle alors qu’elle transporte malaisément une lourde valise contenant le corps découpé en morceaux de son regrettable mari ; Annabelle, tandis qu’elle apprend les rudiments pratiques de la prostitution à l’arrière d’une voiture. On s’attache vite, on ne les quitte plus, elles vont mettre à se rencontrer vraiment un peu de temps. Moins toutefois que celui pris par Héléna Marienské pour sortir d’une trop longue « panne » d’écriture, comblée, il est vrai, par le jogging, le jeu (poker, scrabble - « en duplicate », précise-t-elle -, piano), l’étude de la généalogie. Tout cela entre Paris parfois, et un chez-soi qui ouvre sur les montagnes, du côté de la Haute-Loire. Tout cela à sa façon. Qui serait assez la nôtre.

Olivier Mony

Fantaisie-sarabande, Héléna Marienské, Flammarion, 19 euros, 300 p., ISBN : 978-2-08-131416-0. Sortie : 8 janvier.

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