La parole aux auteurs

La parole aux auteurs

Deux leaders des ventes du rayon psycho pop, Christophe André et Fabrice Midal, reviennent sur leur parcours, expliquent pourquoi les livres sont de plus en plus incarnés et exposent leur vision de l’évolution du secteur.

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avec Créé le 27.05.2017 à 01h01

Christophe André, auteur

Christophe André- Photo OLIVIER DION

Mon histoire avec la psycho pop démarre en 1995 lorsque je publie mon premier livre avec Patrick Légeron, La peur des autres : trac, timidité et phobie sociale chez Odile Jacob. Un succès instantané. Nous étions deux auteurs inconnus et avons vendu 180 000 exemplaires la première année… C’était de la vulgarisation psychologique mais rigoureuse, adossée à des recherches scientifiques. Pour que mes livres soient accessibles le plus possible, je procédais toujours de la même manière : je les faisais relire à mes patients. En tant que médecin et thérapeute, je gardais en tête la notion de service psychologique rendu : le livre doit faire du bien.

Fabrice Midal- Photo OLIVIER DION

Dans les années 1990, Jacques Salomé était méprisé en tant qu’auteur par la plupart des thérapeutes en activité parce que c’était un gros vendeur de bonnes paroles, et pas un vrai thérapeute. Moi aussi, je le prenais un peu de haut. Mais j’ai changé d’avis peu à peu en écoutant de nombreux patients me dire combien ses livres leur faisaient du bien. Je me suis dit que tout livre qui fait du bien est un livre respectable, vu la grande fréquence des souffrances psychologiques. Et que, en tant que soignant, je n’ai pas à produire des œuvres littéraires mais des livres d’aide.

Au fur et à mesure de mes évolutions, je me suis intéressé à la notion de prévention. J’ai voulu prévenir l’apparition des troubles et aider mes patients à conduire leur vie différemment. C’est là où j’ai sensiblement glissé de la psychothérapie pure et dure à ce qu’on appelle le développement personnel. Je ne m’intéressais plus seulement à des lecteurs qui avaient des maladies dont ils voulaient s’arracher mais à des personnes qui avaient le souci de rester en bonne santé ou d’être plus solides psychologiquement. Ce tournant est arrivé dans les années 2000 et j’ai senti que je touchais alors un nombre de lecteurs beaucoup plus grand.

Mon style s’est lui aussi adapté. Au début je faisais des livres moins incarnés. C’étaient des boîtes à outils dans lesquelles je n’évoquais pas mes états d’âme. Puis, petit à petit, en comprenant ce qui pouvait davantage toucher les patients, j’ai introduit des extraits d’œuvres littéraires, des citations de romanciers et poètes ayant compris les mêmes choses que nous et sachant les dire plus fortement, plus élégamment. Puis j’ai commencé à parler un petit peu de moi. J’ai adopté un ton un peu plus littéraire, un peu plus confidentiel tout en restant soucieux des mêmes ingrédients d’accessibilité, de références scientifiques, de conseils pratiques.

La révélation de soi du thérapeute, lorsqu’elle est bien dosée, peut être très motivante pour les patients, selon de nombreuses études. Ils comprennent que leurs soignants ne leur sont pas supérieurs et qu’il n’y a qu’une seule catégorie d’humains : tout le monde souffre, tout le monde a ses difficultés, tout le monde a ses galères. C’est une idée importante qui a émergé dans la thérapie contemporaine et qui se retrouve dans les évolutions de notre société : nous sommes plus allergiques qu’autrefois aux notions de hiérarchie, que ce soit dans l’entreprise, dans la santé, dans l’école… Les gens aspirent à des relations plus égalitaires et fraternelles. Et cette évolution vers plus de proximité des thérapeutes, plus de spontanéité, plus de présence personnelle se retrouve dans les ouvrages contemporains.

Fabrice Midal, auteur et directeur de collection

Chacun constate un boom dans le secteur de l’épanouissement personnel alors que les sciences humaines reculent. Mais en réalité, si on y regarde de plus prêt, on se rend compte que la psycho pop intègre nombre de principes et d’approches des sciences humaines. Si on regarde les meilleures ventes, on constate ainsi qu’un travail en profondeur y est souvent proposé. C’est le cas de Catherine Gueguen, que j’ai l’honneur de publier chez "Pocket évolution". Elle appuie ses textes sur des recherches scientifiques et sociales, comme du reste aussi Christophe André, toujours à la pointe des recherches faites dans le monde anglo-saxon. Chez Belfond, dans la collection "L’esprit d’ouverture", je ne publie que les aînés du genre, souvent anglo-saxons comme Sharon Salzberg, spécialisée dans la méditation et la bienveillance, qui témoigne d’un sérieux et d’une recherche novatrice. Je pense pour cette raison que ces livres peuvent changer notre société profondément.

Dans ce sens, si l’intérêt pour la méditation touche aujourd’hui le grand public, c’est parce que les auteurs ont, eux, réussi à faire sortir cette pratique du simple bien-être. On a mis de côté les images du lotus, du coucher de soleil et des cailloux. En tant qu’éditeurs, nous sommes plusieurs à avoir travaillé sur les couvertures, les couleurs mais aussi le choix des textes. Les grands auteurs dans le domaine de la méditation s’appuient sur les découvertes scientifiques, sur la philosophie, une analyse des difficultés sociales que les gens rencontrent. Les lecteurs découvrent que la méditation peut réellement les aider. Et c’est en effet tout simple : si les gens achètent des livres sur la méditation, c’est que cela les aide.

Certes, tous les éditeurs ne voient pas les choses de la même manière. Et de ce fait, il existe beaucoup de livres gadgets. L’idée qu’on va être serein en quelques minutes, comme certains ouvrages l’assurent, est évidemment une imposture. Si vous promettez cela à quelqu’un, non seulement vous ne l’aidez pas mais vous le faites culpabiliser parce qu’il n’y arrivera pas. Il existe des chemins de transformation, d’apaisement, mais il faut montrer concrètement comment faire. Il faut être réellement pratique, et ne pas se contenter de répéter des banalités voire d’énoncer des bêtises. Je crois que nous avons une responsabilité sociale à publier et à vendre des ouvrages qui doivent aider les gens. Nous devons faire en sorte que cela rende réellement service.

Il est frappant de voir du reste que les livres qui rencontrent un grand succès ne réduisent pas la méditation à un outil de gestion du stress, une sorte de gymnastique mentale. Autrement dit, le public ne s’y trompe pas.

Il faut aussi être vrai - dans mes livres, je tente de dire très honnêtement comment la méditation aide. Enseignant la méditation, j’ai constaté que beaucoup de gens avaient le sentiment de ne pas arriver à méditer, car ils identifiant la pratique avec une sorte de gymnastique difficile. C’est pourquoi je propose dans mes livres cette approche, "foutez-vous la paix", non pas essayer d’être dans la pleine conscience (qui me semble une traduction malheureuse car beaucoup trop abstraite et intellectuelle du mindfulness américain), mais être pleinement présent à sa vie. C’est simple et déculpabilisant.

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