Phénomène

Heureux qui comme Kbooks, le label webtoon du groupe Delcourt, a publié Solo Leveling. Avec plus de 900 000 exemplaires vendus en deux ans pour ses neuf premiers tomes - le 10e est paru le 14 juin -, la série signée Chugong et Dubu incarne par son exceptionnel succès l'émergence des adaptations papier de ces bandes dessinées d'origine sud- coréenne initialement conçues pour la lecture numérique. 

Écrans de fumée ?

Dans leur nouveau format imprimé, les webtoons s'imposent dorénavant - et c'est une spécificité de la France, où le papier reste roi - comme un nouveau genre à part entière dans les rayons BD, aux côtés des mangas. À l'instar de Kbooks, un nombre croissant d'éditeurs s'empare du phénomène. Dès 2021, Ki-oon (groupe AC Media) lançait un label Toon tandis qu'Ototo, autre spécialiste du manga, adaptait Tower of God. De son côté, Hugo BD publiait début 2022 l'autre succès notable du genre, Lore Olympus de Rachel Smythe. Plusieurs labels spécialisés ont depuis vu le jour, tels Sikku (Michel Lafon), Koyohan (Matin calme) ou Kotoon (Edi8), suivis au premier semestre 2023 par Panini Toon (Panini) et K! Addict (K! World). Signe qu'un nouveau palier est franchi, Urban Comics, marque du groupe Dargaud et éditeur français de DC Comics, adaptera en août au format papier les séries nées du partenariat entre DC Comics et la plateforme sud-coréenne Webtoon. 

Mais, le succès n'allant pas sans rançon, cet afflux d'acteurs change la donne en librairie. « Notre première année d'activité a été fantastique, se remémore Pascal Lafine, directeur éditorial de Kbooks. Avec l'arrivée de nouveaux éditeurs qui s'inspirent souvent du format de Solo Leveling, on sent un ralentissement de l'activité. » Chez Kbooks, les ventes cumulées d'autres séries phares comme True Beauty ou Qu'est-ce qui cloche avec la secrétaire Kim ?, sans être mauvaises (117 000 et 65 000 exemplaires), se situent ainsi très en deçà du niveau de Solo Leveling

Comme tous les marchés naissants, le webtoon accuse simplement le contrecoup de son attractivité soudaine, la difficulté résidant pour les nouveaux venus dans le choix des séries et leur capacité à convertir une audience numérique en lectorat papier. Les vases ne communiquent pas toujours... L'exemple le plus frappant est sans doute celui de Colossale de Rutile et Diane Truc, paru en janvier chez Jungle. Malgré ses 6 millions de vues sur Webtoon, le premier tome s'est vendu à moins de 2 000 exemplaires dans l'édition standard de son adaptation papier selon GFK.  

Le webtoon pâtit également d'être la plupart du temps disséminé dans le rayon manga, les titres étant rangés avec les shōnen ou avec les shōjo en fonction de leurs thématiques. Car webtoon et manga ont moins de points communs qu'il n'y paraît. « Le webtoon est pensé pour être lu en faisant défiler les images sur un écran. Il y a un important travail de mise en page pour l'adapter au format BD qu'on ne retrouve pas dans la traduction d'un manga », signale Jean-François Schmitt, directeur publishing chez Panini. Ce travail, coûteux, n'est pas sans incidence sur le prix de vente moyen d'un webtoon (une quinzaine d'euros, contre moins de 10 pour un manga). 

Webtoon vs manga

Qui plus est publié en couleurs et dans un format généralement plus grand, un webtoon coûte « trois ou quatre fois plus cher à fabriquer qu'un manga », rappelle Arthur de Saint Vincent, directeur général délégué d'Hugo & Cie. « Cela implique de calculer au plus juste le tirage et le tarif », poursuit-il. Malgré le succès de Lore Olympus, qui se distingue pourtant par son prix de vente élevé de 24,90 euros, Hugo Publishing y regarde de près avant de développer son catalogue. L'éditeur ne lancera son label Neo Toon qu'en octobre avec des titres centrés sur des chanteurs de K-Pop.

Tout aussi prudent, Panini Toon n'a pour le moment publié qu'une seule série, Jungle Juice, dont le premier tome a été tiré à 20 000 exemplaires. « Nous prévoyons de publier 4 à 5 séries par an, précise Jean-François Schmitt. Mais ce sera plutôt notre rythme pour 2024. » La production est plus importante chez Kotoon, qui a déjà adapté six séries et devrait en compter une quinzaine d'ici la fin de l'année. Pour sa responsable éditoriale Flora Sallot, il s'agit de « mener un travail de sensibilisation en librairie, y compris pour toucher un public qui ne lit pas de webtoon en ligne ». Le label publiera pour ce faire en octobre son premier webtoon français, Mon vœu le plus sincère, d'U. Kiri. Mais parviendront-ils un jour à rivaliser avec le succès de Solo Leveling ? La suite au prochain épisode.

Les dernières
actualités