16 janvier > Roman France

Manuel Candré- Photo CATHERINE HÉLIE/JOËLLE LOSFELD

Après Autour de moi (J. Losfeld, 2012), premier livre de Manuel Candré, un journal d’enfance pris dans un réel passé direct, brut et cru, Le portique du front de mer est un deuxième texte très différent dans la forme, un roman d’atmosphère et de paysage, beaucoup plus fantasmatique, narcotique. L’auteur ne fait pas mystère de son inspirateur, le grand J. G. Ballard et son recueil de nouvelles Vermilion sands (réédité par Tristram après avoir été longtemps introuvable en français). Comme la station balnéaire imaginée dans les années 1950 par le maître anglais, R. est une ville d’une modernité fanée et décadente, bornée par l’océan et le désert. Un décor en cours de désintégration. Au début, à «l’époque où il ne manquait aucun d’entre nous», ils sont quatre garçons qui boivent des bières au Zanzibar sur le front de mer, jouent à des tournois de I.Go, «antique jeu futuriste» dont Ballard a inventé les règles, marchent. Raymond Mayo est le seul qui possède une voiture, un coupé Cadillac décapotable à bord duquel les quatre amis font des virées dans le désert pour chasser les raies des sables. Ensemble, ils voient des mirages : parfois une île émerge et quand elle est engloutie, on peut entendre «le temps gémir en se contractant». Puis Joao disparaît, abandonnant les trois autres à leurs errances. M., le narrateur, poursuit un projet de revue de poésie et travaille à l’écriture d’un roman, mais Lucio, quant à lui, a déjà les «yeux pourris de fatigue». Car sans Joao, la dissolution s’accélère. La ville se vide et s’ensable. Les nuits ne se partagent plus. La léthargie devient épuisement. Le portique du front de mer enroule le temps en ondes, boucles, spirales, traduit l’espace en vibrations cosmiques, transes hallucinatoires, tornades éphémères. C’est aussi une expérience de trans-mutation. «Je fais disparaître mes amis. Je les dissous dans des récits.» Manuel Candré sculpte des mirages.

Véronique Rossignol

 

 

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