Le bal des faux débutants

La primo-romancière Aurélie Razimbaud lors de la présentation de la rentrée littéraire Albin Michel 2018 à la maison de l'Amérique Latine. - Photo Olivier Dion

Le bal des faux débutants

94 auteurs explorent pour la première fois la fiction en cette rentrée d’automne, mais ils sont nombreux à avoir déjà trempé dans l’écrit.

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Par Léopoldine Leblanc,
avec Créé le 29.06.2018 à 02h05

Cette rentrée littéraire à l’audace mesurée et à la prose prometteuse révèle des primo-romanciers en fait déjà rompus à l’écriture. Pour les 94 à débuter cet automne (ils étaient 81 en 2017), franchir le seuil de la fiction constitue un nouveau stade dans des pratiques déjà bien ancrées. Il y a les nouvellistes aguerris - comme Adeline Dieudonné (La vraie vie, L’Iconoclaste), Aminata Aidara (Je suis quelqu’un, Gallimard) et Aliénor Debrocq (Le tiers sauvage, Luce Wilquin), toutes trois primées pour des recueils publiés -, les auteurs-blogueurs qui se sont confrontés aux lecteurs-internautes - tels Paul Béhergé (Les nougats, Buchet-Chastel) et Sarah Roubato (30 ans dans une heure, Publie.net) - ou encore les écrivains pour la jeunesse curieux d’explorer un nouveau champ littéraire avec Vincent Villeminot (Fais de moi la colère, Les Escales) et Marie-Aude Murail (En nous beaucoup d’hommes respirent, L’Iconoclaste).

Le sens du rythme

Faux débutants, les primo-romanciers de cette année sont nombreux aussi à avoir exercé leur prose à l’oral. Chez Buchet-Chastel, Hector Mathis, 26 ans, s’est essayé à la chanson avant de se consacrer à l’écriture tandis que Marc Citti, auteur de Sergent papa chez Calmann-Lévy, compose et interprète parallèlement à sa carrière théâtrale. L’Iconoclaste et Léo Scheer ont également fait confiance au sens du rythme des auteurs-compositeurs-interprètes Julien Cabocel pour son road-trip existentiel Bazaar et à Alexandra Dezzi avec Silence, radieux, une histoire d’amour qui revient sur les attentats terroristes de 2015 à Paris. Nil et Belfond accueillent respectivement les créations littéraires des chroniqueuses radios Joy Raffin (Atlantic city) et Juliette Arnaud (Comment t’écrire adieu).

Double identité

De la biographie romancée (Le cœur : Frida Khalo à Paris de Marc Petitjean, Arléa) au roman historique en pleine guerre de Cent Ans (Et j’abattrai l’arrogance des tyrans de Marie-Fleur Albecker, Aux forges de Vulcain) jusqu’à la dystopie sociétale (KO d’Hector Mathis, Buchet-Chastel), la diversité de la production fait écho aux profils variés des auteurs dont surgit, entre autres, une réflexion centrale autour des expériences de métissage et de double identité. Avec Je suis quelqu’un (Gallimard), l’Italo-Sénégalaise Aminata Aidara dévoile les secrets d’une famille éclatée entre le Sénégal et la France. Chez Liana Levi, Estelle-Sarah Bulle (Là où les chiens aboient par la queue) raconte l’enfance guadeloupéenne de toute une génération d’Antillais qui s’installeront en métropole dans les années 1960. Un conflit intérieur qui saisit également le jeune Franco-Camerounais d’Un long chemin depuis la rivière des crevettes de Thierry Essengue (Onde) ou encore l’orphelin colombien recueilli par une famille française mis en scène par Vincent Lahouze dans Rubiel e(s)tmoi chez Michel Lafon.

Pour certains s’instaure même un jeu littéraire comme pour François-Xavier Delmas - par ailleurs fondateur de Palais des thés qu’il dirige depuis vingt ans. Dans Ma vie de saint (Anne Carrière), il feint de retranscrire la vie de son homonyme saint François-Xavier pour répondre aux attentes de son père avant de s’en libérer. Pour d’autres, la dualité fusionne jusqu’à la confusion. Dans Un écrivain (Robert Laffont), Laure Arcelin raconte les bouleversements d’un auteur happé par l’emballement médiatique après avoir reçu le prix Goncourt, au point de s’identifier peu à peu à son personnage. Avec Une vie de pierres chaudes (Albin Michel), Aurélie Razimbaud sonde, entre Alger et Marseille, les troubles d’une famille dont le père mène une double vie depuis des années. Qu’elles soient fécondes ou perturbantes, les identités plurielles au cœur de l’individu questionnent son héritage et ses choix. A 86 ans, le doyen des primo-romanciers, Dov Hoenig, d’origine roumaine, a fait celui d’écrire en français. Rue du Triomphe (Robert Laffont), située à Bucarest, s’inspire d’une existence troublée par les impératifs de la Seconde Guerre mondiale, entre la Roumanie, la Palestine et la France, pour que, le temps d’un roman, l’écrivain rejoigne son double. d Lé. L.

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