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Le Corps des Libraires II : sorts et réassorts

Le Corps des Libraires - Photo éditions La Bibliothèque

Le Corps des Libraires II : sorts et réassorts

Après le succès du Corps des libraires, les éditions de la Bibliothèque épaississent le mystère dans ce deuxième volume du livre de Vincent Puente. En voici quelques extraits. 

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Par Antoine Ginésy
Créé le 27.09.2023 à 16h33

Leur travail est fantastique, les libraires se l’entendent souvent répéter. « Vous ne croyez pas si bien dire… », pourrait rétorquer Vincent Puente. Le métier n’a pourtant rien de facile : c’est ce dont témoigne ce libraire Gallois qui doit gagner la mer pour harponner son réassort. Son confrère français dont la réserve se transforme régulièrement en tranchée ne devrait pas le contredire.

Dans une série de nouvelles pince-sans-rire écrites sous le signe de Borges, Puente explore le contour labyrinthique des rayons où se débite la pire des marchandises possibles. Face à ce que l’auteur appelle « la vie propre des livres », nous sommes désormais avertis : celui qui entre dans une librairie ne sait jamais de quel côté de la page il se tient.

Piochés dans le recueil, quelques échantillons d'évènements étranges survenus dans la tranquillité des rayonnages : 

 

- Cauchemar du libraire contemporain : le livre qui, sans se vendre, ne peut être retourné au fournisseur. Bernard Pâque a, lui, décidé de n’en retourner aucun. À ses risques et périls… : 

«  Ainsi sa libraire était pleine comme un œuf […] Un jour de 1989, Pâques dont on a compris que la gestion du fond n’était pas de qualité première, a été pris de l’étrange lubie d’inventorier le contenu de sa librairie. Il tenait qui plus est à effectuer cette opération de nuit pour ne pas perdre de jour d’ouverture. Sourd aux mises en garde de ceux qui l’enjoignaient à renoncer à cette opération pour le moins incertaine qu’est l’inventaire nocturne d’une librairie, la dernière chose dont nous nous sommes assurés est que Pâque s’est mis à la tâche comme convenu le soir dit. Il demeure depuis introuvable, malgré d’intenses et consciencieuses recherches. »

 

- Loin de cette lourde besogne, une librairie à Poitiers a tout bonnement décidé de larguer les amarres : 

« La Paresse se dévoile au tomber du jour. Elle semble flotter comme si elle occupait le dernier étage d’une bâtisse qui s’élève bien au-dessus des immeubles de la rue. Ses vitrines diffusent une lueur pâle qui perce résolument malgré l’épaisseur de la nue. Un observateur patient sera en mesure d’apercevoir le va-et-vient du libraire qui s’affaire en ses murs. Parfois la petite porte vitrée s’ouvre sur le vide sans que personne n’en sorte ou y pénètre. Sur le pas de la porte, on distingue une grande volée de marches qui indique la présence d’un escalier extérieur que personne le jour venu et la brume dissipée, n’est en mesure de localiser. »

 

- Faisant aussi peu de cas que ses confrères des objections utilitaristes, le propriétaire de La Librairie Nocturne à Oslo ne semble pas non plus décidé à faciliter la tâche des lecteurs : 

« L’opacité des ténèbres à l’intérieur vous soustrait au monde si définitivement qu’à chaque fois j’éprouve le besoin vital de me retourner en direction de ce que je crois être la rue, ou du moins le dehors, là ou la nuit paraît moins dense. Entouré de l’armée muette et invisible des livres j’ai souvent le sentiment de me trouver ici dans la caverne platonicienne, contemplant l’esquisse du monde sans pouvoir l’atteindre. »

 

Le corps des libraires, Vol. 2, Histoire de quelques libraires remarquables & autres choses, Vincent Puente, éditions de la Bibliothèque, 14 euros. 

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