Le feel-good à la française fait recette à l’étranger

"Les éditeurs ne recherchent pas spécifiquement des feel-good books, ce qu’ils attendent d’un roman français, c’est une jolie histoire, charmante, mélancolique, avec une trame sociale en fond." Valentine Spinelli, V & P Scouting - Photo Olivier Dion

Le feel-good à la française fait recette à l’étranger

Les éditeurs étrangers se montrent particulièrement attentifs aux parutions de romans français qui font du bien et en acquièrent les droits, avant même leur sortie.

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Par Anne-Laure Walter,
avec Créé le 17.03.2017 à 00h32

Avant même sa sortie, les éditeurs étrangers se sont battus pour l’acheter : mi-février, La fille qui lisait dans le métro de Christine Féret-Fleury, paru le 9 mars chez Denoël, était déjà vendu en Italie, Espagne, Tchéquie, Slovaquie, et des enchères étaient en cours pour qu’il soit édité en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis. En Allemagne, les offres dépassaient les 100 000 euros. L’histoire de cette jeune fille solitaire, qui chaque matin prend la ligne 6 du métro parisien et dont la vie va être bouleversée le jour où elle descend deux stations avant son arrêt habituel, séduit le monde entier. Rien d’étonnant, à en croire la directrice générale de Denoël, Béatrice Duval : "Les Français sont aujourd’hui un peu considérés comme les spécialistes du genre à l’étranger. Dans les grandes foires comme Francfort ou Londres, on voit bien que le feel-good à la française est très attendu."

"Les Allemands, par exemple, sont clairement à la recherche du charme français, sombre, mélancolique mais aussi empreint de joie de vivre." Eva Bredin-Wachter, Lattès- Photo OLIVIER DION

Valentine Spinelli, fondatrice de l’agence V & P Scouting, qui travaille pour de gros éditeurs européens, confirme l’intérêt des étrangers pour ce genre de romans, "commerciaux et de qualité", tout en nuançant un peu. "Il y a des effets d’emballement sur quelques titres, que l’on s’arrache partout avant même leur sortie. Les éditeurs ne recherchent pas spécifiquement des feel-good books, ce qu’ils attendent d’un roman français, c’est une jolie histoire, charmante, mélancolique, avec une trame sociale en fond. Une fiction avec un décor typiquement français, un personnage qui s’ennuie et qui, brusquement, voit sa vie bouleversée par un événement. Un peu comme Amélie Poulain en fait." Eva Bredin-Wachter, responsable des cessions de droits chez Lattès, partage ce constat. "Les Allemands, par exemple, sont clairement à la recherche du charme français, sombre, mélancolique mais aussi empreint de joie de vivre", dit-elle.

Lourds investissements

Ce phénomène est apparu il y a une dizaine d’années, avec L’élégance du hérisson, de Muriel Barbery (Gallimard), succès fulgurant partout dans le monde, puis La liste de mes envies de Grégoire Delacourt (Lattès), paru en 2012. Avant même sa parution, le deuxième roman de l’auteur français était vendu dans douze pays. "J’ai présenté le roman de Grégoire Delacourt à Francfort quatre mois avant sa parution en France, se souvient Eva Bredin-Wachter. Le lendemain, j’avais quatre offres dans ma boîte mail ! Je n’avais jamais connu ça." Finalement, le roman s’est vendu dans 32 pays, il a même été traduit aux Etats-Unis, marché peu ouvert aux romans français, chez Penguin, et dépassé les 100 000 exemplaires en Allemagne et en Italie.

Quelque temps après, L’extraordinaire voyage du fakir qui était coincé dans une armoire Ikea de Romain Puértolas (Le Dilettante) - 550 000 exemplaires en France, plus de 100 000 en Allemagne, 45 000 en Suède et 10 000 en Turquie - ou Le liseur du 6h27 de Jean-Paul Didierlaurent (Au Diable vauvert) - vendu à 50 000 exemplaires en Allemagne et 60 000 au Royaume-Uni - ont connu des succès similaires. Les gros vendeurs français du genre, comme Gilles Legardinier, traduit dans 19 pays, ou Agnès Martin-Lugand, dont les livres, traduits dans 32 pays, se sont écoulés à 300 000 exemplaires à l’international, sont convoités par les éditeurs étrangers, évidemment. Mais ils ne sont pas les seuls.

Quand un roman de ce genre leur semble avoir le potentiel pour être un succès commercial, les éditeurs se précipitent pour l’acquérir, par peur de rater le futur phénomène éditorial. Marie-Pacifique Zeltner, responsable des droits au Diable vauvert, a "l’impression que les éditeurs étrangers cherchent à découvrir la pépite commerciale avant les autres depuis le succès du Fakir". Préempter les droits très en amont "était une façon de sortir du champ des enchères et de la concurrence aux best-sellers. Mais l’engouement est tel que, finalement, ces romans partent également aux enchères", poursuit-elle. Leurs droits peuvent atteindre des montants très élevés.

Chez Jean-Claude Lattès, les droits pour Barracuda for ever de Pascal Ruter, paru le 18 janvier dernier, se sont envolés dès sa présentation à Francfort en octobre et ont été cédés pour une somme à six chiffres pour le marché allemand. Même s’il ne s’est vendu qu’à 1 500 exemplaires en France, La 2CV verte, de Manu Causse, paru chez Denoël en mars 2016, a été acheté pour 70 000 euros par l’éditeur allemand Droemer, qui le publiera le 2 mai.

Cet attrait a son revers car, comme tout emballement sur le marché des droits, les lourds investissements ne débouchent pas forcément sur des succès. Si Grégoire Delacourt ou Jean-Paul Didierlaurent ont connu le succès dans toute l’Europe, la plupart des auteurs français traduits font des ventes assez confidentielles à l’étranger.

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