Coup de Gueule 

C'est un client hilare qui m'a prévenu. Le règlement intérieur du lycée de son fils (un établissement privé et - hum - prestigieux) proscrit totalement la détention de mangas dans son enceinte. Lire des mangas dans ce lycée est passible de sanctions et de confiscation. Cette position extrême n'est certes pas la plus courante : la plupart des lycées proposent un club de lecture manga. Mais elle est assez révélatrice : seuls les mangas sont interdits, plutôt que l'ensemble de la bande dessinée.

Voici quelques décennies, la bande dessinée était considérée - avec le roman policier et de la science-fiction - comme un « mauvais genre », un simple divertissement sans intérêt culturel. Aujourd'hui, elle est étudiée en classe. Elle fait l'objet d'expositions prestigieuses. Ses planches originales s'arrachent à prix d'or dans les salles de vente. Elle est un sujet de recherches universitaires. On comprend mal en quoi la bande dessinée japonaise serait moins noble que celle des pays occidentaux ! Dénigrer le manga, en faire un épouvantail culturel alors qu'il est plébiscité par les jeunes usagers du Pass Culture, c'est un combat d'arrière-garde.

Du reste, la bande dessinée japonaise se défend très bien toute seule : c'est le segment le plus dynamique de l'édition : + 107 % en 2021, un chiffre incroyable pour une industrie qui n'est pas émergente ! Mais tant pis : puisque le manga est aussi le segment le plus décrié, par ceux-là mêmes qui refusent d'en lire par principe et condamnent en bloc un domaine dont ils ne savent rien, défendons-le quand même. En rappelant certaines de ses qualités, quitte à enfoncer des portes ouvertes.

Le manga, c'est passionnant. Il s'est vendu quasi un demi-milliard d'exemplaires de la seule saga One Piece dans le monde. La série ne cesse de recruter de nouveaux lecteurs, et certains la suivent parfois depuis plus de vingt ans, sans lassitude. Son auteur Eiichirō Oda est un feuilletoniste pas moins talentueux qu'Eugène Sue ou Alexandre Dumas.

Le manga, c'est très varié. Bien sûr, il y a des séries de baston à destination des adolescents. Et de la romance à grands yeux étoilés, plutôt destinée aux jeunes filles. Mais d'abord, cela n'exclut pas la qualité (comme expliqué plus tôt), et il existe aussi du manga social ou historique, de la vulgarisation scientifique, des adaptations de grands textes de la littérature ou de la philosophie, du manga politique ou du manga poétique. Sans oublier le manga expérimental et le manga d'auteurs. Pour toutes sortes de publics.

Petit syllogisme à l'usage des libraires : le marché du livre est porté par la bande dessinée. Or, le marché de la bande dessinée est porté par le manga. Donc, il faudrait peut-être cesser de dénigrer le manga.

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