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"Lecture publique" ou "bibliothèques" ?

"Lecture publique" ou "bibliothèques" ?

Les multiples facettes des bibliothèques remettent en question la pertinence de l'expression réductrice de "lecture publique" pour les designer. 

Depuis les années 70, le terme de "lecture publique" a tendu à se substituer à celui de bibliothèques. Plus exactement, ces dernières étaient conçues comme des outils d'une politique plus vaste de "lecture publique". Et, faisant écho à la direction du livre et de la lecture du ministère de la culture, nombre de collectivités ont rebaptisé leurs services en mettant en avant cette notion.

On a ainsi constaté la transformation de nombreuses Bibliothèques départementales de prêt en "Direction de la lecture publique" (Ain, Loir-et-Cher, Saône-et-Loire, etc.). Cette évolution apparaît logique au sens où elle relève de la rationalisation de l'action publique: l'hôpital (public et privé) qui représente près de la moitié des dépenses de santé ne relève pas d'un ministère de l'hôpital mais bien de la santé. Pourtant, on peut questionner la pertinence du terme de "lecture publique" pour rendre compte des bibliothèques aujourd'hui. 

Pratique

De façon poétique, suggestive et très pertinente, les auteurs de l'Antimanuel de la lecture publique, récemment primé par l'anti-prix Livres-Hebdo des bibliothèques, donnent à interroger une réalité des lieux bibliothèques qui bouscule le cadre censé les ordonner. "La bibliothèque est une pratique, et on pratique la bibliothèque comme on pratique un sport: toujours en mouvement". Cette première phrase fait de la bibliothèque non pas l'outil d'une politique (théorique) mais d'une "pratique". C'est qu'elle est largement définie par les publics qui s'en emparent à leur manière et pas seulement pour lire...

Ce texte jusqu'alors confidentiel et désormais réédité en vue de sa diffusion mérite l'attention des professionnel(le)s car il ouvre la réflexion avec intelligence, sensibilité et ironie. Enfermer la bibliothèque dans la "lecture publique", c'est réduire les citoyens à des lecteurs, les individus à la lecture. Bien sûr que les usager·ère·s recourent à la lecture quand ils viennent à la bibliothèque ne serait-ce que pour lire un dépliant, un journal, une affiche ou même des notes de cours mais leur visite ne se réduit pas à cette pratique. Ils entrent dans des mondes, ils prennent part à la vie collective, ils rencontrent des homologues ou des "grincheux", ils se reposent ou se fatiguent, ils marchent ou s'installent dans une "niche", vont aux toilettes, bavardent avec le personnel, se réchauffent, attendent, etc.

Multiples facettes

Toutes ces pratiques ne relèvent pas de la lecture et prennent une place majeure qui tend à croître. La dernière enquête "Publics et usages des BM" rappelle d'ailleurs que : "en 1997, 69% des usagers étaient inscrits. En 2005, ce ratio n’était plus que de 59%. En 2016, il est tombé à 39%". La visite pour emprunter perd sa dimension hégémonique et fragilise ainsi la notion de "lecture publique".

Un autre exemple de cette mise en doute de la notion de "lecture publique" se trouve dans un livre programme pour les bibliothèques de Marseille. José Rose dresse un panorama des visages des bibliothèques afin de dessiner des pistes afin de sortir ce réseau de son "indolence".

Bien sûr, il utilise la notion de "lecture publique" et invite à toujours garder "au cœur le livre et ses multiples usages, le savoir et son appropriation, la connaissance et sa richesse" (p. 61). Mais il présente les autres facettes (notamment sociales) des bibliothèques qu'il nomme comme telles. Il reprend à son compte la notion de "troisième lieu" dont le succès réside justement dans sa capacité à désenclaver les bibliothèques de la lecture.

Collectivité

S'il est indéniable que le recours au terme de "lecture publique" a permis de ne pas réduire l'action publique en faveur de la lecture aux seules bibliothèques, il a produit un autre effet peu pointé. Les bibliothèques et la vitalité dont elles font preuves depuis qu'elles mettent la question des publics au cœur, ne sont pas lisibles et reconnues.

On pourrait croire qu'elles ne visent qu'à promouvoir la lecture alors qu'elles participent à la socialisation de la population, à la construction et l'animation de la collectivité locale et à tant d'actions pour les individus et les groupes. Et d'ailleurs, la population desservie ne comprend pas le terme de "lecture publique" tel qu'il s'est développé dans le monde des bibliothèques et des politiques publiques.

Le succès du terme de "lecture publique", chez les professionnels, tient pour une part à l'adjectif "publique". C'est à la fois la manière de montrer que la lecture en public est possible et recouvre une réalité particulière. C'est aussi l'idée d'un service public de la lecture au sens où le but poursuivi n'est pas commercial et concerne la collectivité locale en tant que telle.

"Bibliothèque publique"

Se pose alors justement une question simple et désarmante: qu'est-ce que la lecture dans les politiques publiques qui en font la promotion? Les points de vue ne sont pas unifiés par exemple entre celui du ministère de la culture ou celui des programmes scolaires... S'il s'agit de penser les bibliothèques sans la lecture mais en tant que service public de proximité, la notion de "bibliothèque publique" pourrait être développée à l'instar des anglo-saxons qui désignent ces équipements de "public library of x" où "x" est le nom de la commune.

Ce texte, né d'une réflexion issue des Rendez-vous du livre et de la lecture dans le Loiret, vise à ouvrir ce débat qui mérite de l'être à quelques mois des élections municipales de façon à nommer justement les enjeux et permettre d'enrôler les citoyens dans la définition du service qui leur est rendu. Les bibliothèques relèvent-elles uniquement d'une politique de "lecture publique"?

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