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Les éditions Indigène deviennent une collection de Rue de l'échiquier

Thomas Bout, directeur des éditions Rue de l'échiquier, Sylvie Crossman, cofondatrice et désormais codirectrice de la collection « Indigène » et Léa Thévenot, responsable de la communication des éditions Rue de l'échiquier - Photo Olivier Dion

Les éditions Indigène deviennent une collection de Rue de l'échiquier

Après la publication d'un dernier titre en 2022, Indigène, la maison éditrice du célèbre Indignez-vous ! de Stéphane Hessel fondée par Sylvie Crossman et Jean-Pierre Barou en 1996, devient une collection chez Rue de l'échiquier.

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Par Cécilia Lacour
Créé le 25.07.2025 à 14h15

Le 20 octobre 2010 paraissait Indignez-vous ! de Stéphane Hessel (Indigène). En quelques jours, ce texte de 32 pages vendu à trois euros devient un phénomène. « Une aventure d'édition extraordinaire avec toute sa folie et son chaos », se souviennent son éditrice Sylvie Crossman et son éditeur Jean-Pierre Barou. Quatorze ans auparavant, après la parution chez Actes Sud de catalogues de leurs expositions, cette ancienne correspondante à Sydney pour Le Monde et ce membre du comité éditorial du Seuil fondent Indigène pour donner une visibilité aux savoirs des « peuples issus de cultures non industrielles ».

Le dernier étage de leur maison familiale montpelliéraine se transforme en bureau. Sylvie Crossman et Jean-Pierre Barou s'entourent d'un « bon comptable », font appel à un atelier graphique à Barcelone et entrent en diffusion-distribution auprès d'Harmonia Mundi. Les débuts sont prometteurs. Les expositions et leurs catalogues fonctionnent bien. Les textes de sciences humaines s'écoulent autour de 1 500 exemplaires.

Jusqu'à ce jour où le hasard et l'intuition changent tout. « Un de nos auteurs, Bastien Cazals [Je suis prof et je désobéis, 2009] nous invite à voir Walter, retour en résistance, le documentaire de Gilles Perret, sur le plateau des Glières. À la fin de la projection, Stéphane Hessel s'adresse à la salle et déclare : "J'appelle la jeunesse à un devoir d'indignation." En sortant, je dis à Jean-Pierre que cela ferait un beau petit texte », se rappelle Sylvie Crossman.

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Jean-Pierre Barou et Sylvie Crossman dans leur bureau à Montpellier en 2010, au moment de la première parution d'Indignez-vous !- Photo GUILLAUME BONNEFONT

Le couple obtient le numéro de Stéphane Hessel auprès du Seuil qui avait publié en 1997 son autobiographie Danse avec le siècle. Et lui propose quelques entretiens en vue de la publication d'un livre. « Cet homme avait un extraordinaire pouvoir oral. Il nous rappelait les grands initiés aborigènes. »

Tiré à 8 000 exemplaires, Indignez-vous ! est édité le jour du 93e anniversaire de Stéphane Hessel. Trois services de presse sont envoyés. Les ventes s'envolent. La semaine de sa sortie, le livre entre directement à la sixième place des meilleures ventes en essais. En 14 semaines, le cri de Stéphane Hessel dépasse le million d'exemplaires vendus. Indigène réimprime l'ouvrage à plusieurs reprises, si bien que, « pendant cette période, le papier utilisé était introuvable en Espagne ». Les appels de maisons étrangères souhaitant traduire le texte mais aussi de lectrices et lecteurs se multiplient. Des personnes sonnent chez eux, poussant alors le couple à déménager.

Catalogue dynamisé

Leur catalogue bénéficie d'une visibilité nouvelle. « Dès lors, nos titres ne se sont pas vendus en dessous de 5 000 exemplaires. » Il en va de même pour l'édition indépendante. « Ça a été un succès pour toute la chaîne indépendante tellement il paraissait improbable qu'une maison installée loin de Paris et avec une force de frappe financière moindre puisse parvenir à ce phénomène. » Les manuscrits affluent aussi de toute part. Mais Sylvie Crossman et Jean-Pierre Barou ont atteint le « paroxysme » de leur aventure éditoriale. Le couple a « envie de décroître ». De huit titres par an publiés en 2011 et 2012, Indigène divise par deux le nombre de ses publications dès 2014. En 2022 paraît le dernier titre de la maison, la bande dessinée Indignez-vous ! La violente espérance de Stéphane Hessel de Frédéric Debomy (scénario) et Lorena Canottiere (dessin). Depuis « trois-quatre ans », Sylvie Crossman et Jean-Barou hésitaient à arrêter. « Nous avions fait ce que nous voulions faire et nous éprouvions un peu de fatigue face à la gestion de la maison », explique le couple. Leurs enfants « ne souhaitant pas reprendre », ils ont donc cherché à transmettre.

Le 22 août, Rue de l'échiquier réédite Indignez-vous !. La meilleure vente de la décennie 20101, à ce jour écoulée à plus de 2,5 millions d'exemplaires selon les données GFK et traduite en 44 langues, y bénéficie d'une préface de Salomé Saqué, notamment autrice de Résister (Payot, 2024), et d'une nouvelle couverture colorée.

Surtout, l'ouvrage inaugure la collection « Indigène » chez Rue de l'échiquier. Son cofondateur Thomas Bout a acquis cinq titres du fonds d'Indigène ainsi que la marque en août dernier. C'est par l'entremise de Benoît Coutaz, président d'Harmonia Mundi, qu'est né le rapprochement entre les deux maisons. Sylvie Crossman et Jean-Pierre Barou l'ont en effet contacté dans l'idée de transmettre Indigène à une maison indépendante, prise en charge par le diffuseur-distributeur arlésien, qui place son travail « dans une critique sociale et un certain rapport à l'environnement ».

À la suite d'une première rencontre en juillet 2023, décision est prise de transformer Indigène en une collection au sein de Rue de l'échiquier. « Au-delà du rachat, nous envisageons un avenir ensemble », affirme Thomas Bout. Cette vision « a beaucoup compté » dans la décision de Sylvie Crossman et Jean-Pierre Barou. Le couple prend la direction de la collection et évoque une certaine « douceur à transmettre ainsi Indigène qui, bien plus qu'une simple maison, a été [leur] vie ».

Renouvellement graphique

Rue de l'échiquier programme la réédition des cinq titres du fonds ainsi acquis sur lesquels seront « systématiquement apportés un regard contemporain, un appareil critique nouveau et une révision du texte si celle-ci est nécessaire » afin de « créer des liens intergénérationnels ». Aux rééditions s'ajoutent des nouveautés. À commencer, le 12 septembre, par Un orage de mots. La révolution iranienne « Femme, Vie, Liberté » dite par celles et ceux qui la font de Chahlia Chafiq, et Ceux du Lutetia. Des mots pour dire la Shoah avec les propos de six personnalités rescapées de la Shoah recueillis par Jean-Patrick Razon.

Cette nouvelle collection, qui s'enrichira de « deux à quatre titres par an », apporte un « souffle nouveau et différent à Rue de l'échiquier tout en s'inscrivant parfaitement au sein de celle-ci », estime Thomas Bout. Pour porter « Indigène », l'éditeur a fait le choix d'une maquette graphique « colorée, avec des effets de peinture brossée pour induire une idée de mouvement, d'engagement et d'ouverture à la fois à nos contemporains mais aussi à d'autres civilisations », explique-t-il.

Par effet de « pollinisation croisée », ce travail a également inspiré un renouvellement graphique à son domaine des essais et notamment sa collection « Diagonale ». Il y a une quinzaine d'années, Stéphane Hessel appelait la jeunesse à « un devoir d'indignation ». Reprenant sa formule, Sylvie Crossman et Jean-Pierre Barou lui disaient que lui-même avait un « devoir de longévité ». Cette pérennité s'enracine dans cette transmission éditoriale, tant pour le message de Stéphane Hessel que pour l'esprit porté par Indigène et Rue de l'échiquier.

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