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Le Tribunal de grande instance de Paris s’est penché, le 25 février 2016,  sur le célèbre poème Liberté de de Paul Eluard. 

Le cinéaste David Cronenberg, auteur de Maps to the stars, avait repris six vers de ce texte, été publié en 1942 par les extraordinaires éditions de Minuit avant d’être repris, en 1945, dans le volume intitulé Au rendez-vous allemand.

L’héritière de Paul Eluard a assigné producteurs et aux distributeurs du film, en particulier en raison de la bande annonce du film en langue anglaise. L’éditeur avait alors adressé pour 4 000 euros de factures. Et le producteur avait réglé la note… la veille de la projection à Cannes.

Las, lors du visionnage du film, l’héritière du poète avait constaté des emprunts bien plus importants que ceux figurant dans la bande-annonce, ainsi que des erreurs dans la traduction dans la version française, comme dans les sous-titres.

Cécile Eluard Boaretto et les Éditions de Minuit avaient donc assigné en contrefaçon, en arguant qu’il existait une atteinte à l’esprit de l’œuvre «  du fait des thèmes, du scénario et du sens du film dans lequel a été utilisé le poème Liberté, qui le transformerait ».

Eluard chez Cronenberg

Or, les juges estiment que « la liberté d’expression d’un auteur autorise la création et la diffusion d’une œuvre composite qui intégrerait tout ou partie d’une œuvre première protégeable, à la condition que le droit de l’auteur premier ait été respecté tant au plan patrimonial que moral ».

Toutefois, ajoutent-ils, « le film Maps to the stars est une critique de la vie des stars à Hollywood. Les personnages sont terrifiés par la peur de ne plus être reconnus ou de tomber en disgrâce. La mort y est souvent présente. Le film se termine par le suicide de Benjie et Agatha, frère et sœur, simulant le mariage également incestueux de leurs parents, eux aussi frère et sœur. Au cours de plusieurs scènes des extraits du poème Liberté sont ponctuellement récités par les personnages.? Le réalisateur du film, David Cronenberg, a eu l’occasion d’exprimer notamment lors de propos recueillis dans les cahiers du cinéma que son film propose un « nouveau sens » au poème Liberté qui a été écrit par Paul Eluard au moment de la Résistance. Ici la liberté devient mort » .

Ils en concluent que, « s’il propose une lecture différente de l’œuvre, le réalisateur ne nie pas la qualité du poème Liberté mais l’intègre dans sa propre création en tant qu’œuvre. ?Il ne conteste pas s’être affranchi du contexte dans lequel il est né, mais la liberté d’expression de l’auteur de l’œuvre seconde doit pouvoir s’exercer sans que l’œuvre première ne soit enfermée dans le contexte historique ou factuel dans lequel elle a été créée. ?Cette liberté d’expression ne peut pas non plus être limitée par une appréciation subjective des mérites de l’œuvre seconde par les ayant droits titulaires du droit moral. ?Il n’est pas démontré que la manière dont le thème de la liberté est appréhendé par le film constituerait une atteinte à la pensée de Paul Eluard telle qu’exprimée dans l’œuvre. » C’est pourquoi, selon les magistrats, « l’utilisation que fait le réalisateur du film Maps to the stars du poème de Paul Eluard n’apparaît pas préjudiciable à l’auteur ou à son œuvre et ne porte aucune atteinte ni à la nature, ni à la qualité du poème. Dès lors, l’atteinte à l’esprit de l’œuvre ne sera pas retenue.  »

Respect de l'œuvre

Rappelons que l’article L. 121-1 du Code de la Propriété Intellectuelle (CPI) prévoit le « droit au respect de l’œuvre ». Ce droit interdit tout acte qui pourrait porter atteinte à l’œuvre publiée. Et ce respect que l’éditeur et les autres tiers doivent à l’œuvre se manifeste, au regard de la jurisprudence, sous des formes particulièrement nombreuses.

Les atteintes au respect de l’œuvre surgissent souvent à l’occasion d’adaptations d’une œuvre, par exemple d’un roman pour le cinéma. L’esprit de l’œuvre d’origine doit être respecté par l’adaptateur. Il faut trouver un juste milieu entre la nécessaire déformation de l’œuvre due à son adaptation et son respect prévu par la loi. En l’absence de dispositions contractuelles précises (sujettes elles-mêmes à de nombreuses limitations), c’est au juge qu’il revient, en cas de conflit, le pouvoir d’estimer si le respect de l’œuvre a été ou non atteint.

Pour pallier toute atteinte au respect de leur œuvre, certains écrivains n’hésitent pas à exiger une clause de respect parfois très détaillée dans le contrat d’adaptation. Il faut relever à ce propos une sorte d’exception légale qui autoriserait un tiers à terminer l’œuvre d’un écrivain supposé rédiger lui-même le scénario adapté de son roman. En effet, selon l’article L. 121-6 du CPI, qui concerne les auteurs de l’œuvre audiovisuelle (au titre desquels la loi assimile l’auteur du roman adapté), « si l’un des auteurs refuse d’achever sa contribution à l’œuvre audiovisuelle ou se trouve dans l’impossibilité d’achever cette contribution par suite de force majeure, il ne pourra s’opposer à l’utilisation, en vue de l’achèvement de l’œuvre, de la partie de cette contribution déjà réalisée. Il aura, pour cette contribution, la qualité d’auteur et jouira des droits qui en découlent ».

Liberté de l'adaptateur

Le conflit peut germer sur les coupes faites dans l’intrigue, sur la transposition dans un autre décor que celui conçu par le romancier, etc. Le Dialogue des carmélites fait figure de cas d’école en la matière. Les magistrats de la Cour de cassation ont conclu, en 1966, à la liberté de l’adaptateur tout en rappelant la nécessité de ne pas dénaturer le livre… Le droit moral est perpétuel et ne connaît pas de domaine public. En 1966 également, la même juridiction s’est donc penchée, à la demande de la Société des gens de lettres, sur l’adaptation au cinéma par Roger Vadim des Liaisons dangereuses.

Les enjeux de l’audiovisuel, et les conséquences financières énormes de tout litige, appellent à la prudence. L’aménagement contractuel préalable des difficultés éventuelles reste la meilleure solution.

Certes, le droit moral « est attaché » à la personne de l’auteur et n’est donc en théorie pas cessible par contrat. Il reste cependant aménageable, ainsi que la cour d’appel de Paris l’a souligné, en 1970, à l’occasion de l’adaptation de Fantômas avec Louis de Funès.

Trahison acceptée

Il est donc fréquent de stipuler que « le producteur aura le droit d’apporter au roman toutes les modifications qu’il jugera utiles pour les besoins de l’adaptation cinématographique ». Mais, il est alors précisé que « dans le cas où ces modifications, additions ou suppressions ne recevraient pas l’accord de l’auteur, ce dernier aurait la faculté d’interdire au producteur ou ses ayants droit de mentionner le nom de l’auteur et de l’éditeur dans la publicité et sur le générique, mais il ne pourra en aucun cas entraver la sortie et l’exploitation du film ».

Les producteurs demandent fréquemment aux écrivains de participer à l’écriture du film adapté de leur propre roman. Il s’agit là soit d’un appel au talent, soit d’un appel au calme…

Enfin, soulignons que la transmission des droits moraux est l’attention de plusieurs articles du CPI, articles dont l’absence de logique et de clarté continue d’embarrasser juridictions et spécialistes du droit d’auteur. Mais, et c’est là le point retenu par le tribunal – en sus de la facturation aventureuse -,  les ayant-droits ne peuvent pour autant agir indépendamment des ayants-droit du défunt doivent respecter les instructions de l’auteur (qu’elles émanent d’un testament, de correspondances, d’un journal, etc.) ou, à défaut, de se référer aux règles d’usage de l’édition.

Le cinéma est une formidable machine, qui a réussi, en raison tant des investissements substantiels que de la multiplicité des intervenants, à annihiler le traditionnel droit moral de ceux qui ont succombé à ses charmes ou à ses chèques.
 

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