Entretien

Liquidations : la direction de Gibert s'explique

Olivier Dion.

Liquidations : la direction de Gibert s'explique

Confrontés à des marchés en déclin et aux crises sociale et sanitaire qui ont fragilisé l’économie de certains magasins de la chaîne, le président et le directeur général du groupe de librairies Gibert, Olivier Pounit-Gibert et Marc Bittoré expliquent leur stratégie qui inclue la reprise du rachat des livres d’occasion et de nouveaux projets de développement.

J’achète l’article 1.5 €

Par Cécile Charonnat
Créé le 17.06.2020 à 13h53

Dans une interview exclusive à Livres Hebdo, Olivier Pounit-Gibert, président de Paladis, la société holding qui chapeaute le groupe de librairies Gibert, et Marc Bittoré, directeur général de Paladis et président de Gibert Joseph Paris, reviennent sur les raisons qui ont poussé l’enseigne à déclarer trois magasins en liquidation judiciaire et exposent leur plan de relance.

Livres Hebdo: Mi-mai, vous avez demandé le placement en liquidation des librairies de Chalon-sur-Saône, de Clermont-Ferrand et d'Aubergenville. Pourquoi une telle décision ?

Marc Bittoré : ces magasins étaient déjà malades avant la crise sanitaire liée au Covid-19. Malgré un accompagnement financier constant de la part de l’enseigne, des réorganisations, des réagencements et un plan social à Clermont-Ferrand en 2015, il a été impossible de redresser la barre. Nous venions de trop loin. D’autant que les différents mouvements sociaux comme les gilets jaunes et les grèves liées aux retraites ont poussé à bout la résistance de ces librairies. Le refus de la Banque de France de leur accorder le prêt garanti par l’Etat dans le cadre du confinement a constitué l’élément déclencheur de la procédure judiciaire.

Mais pourquoi avoir choisi la liquidation, radicale, et non un redressement qui aurait permis d’envisager des mesures de relance ou une cession ?

M. B. : dans chaque magasin, nous avons proposé la constitution d’une scoop en vue d’une reprise. Mais le refus de cette solution par tous les salariés conjugué au niveau d’endettement de chaque site nous a orienté vers la liquidation. En deux ans, le magasin d’Aubergenville a perdu 750000 euros. Celui de Clermont-Ferrand cumule 2 millions de perte sur 8 ans. Ce n’était plus tenable.

Olivier Pounit-Gibert : d’autant que, tels qu’ils sont configurés, ces magasins avaient peu d’avenir sur leur zone de chalandise. Nous avions aussi un problème d’adéquation au marché, notamment à Clermont-Ferrand. Depuis sa création, dans les années 40, ce magasin était orienté scolaire et universitaire, deux secteurs qui représentaient 80% du CA. Pour contrer le déclin de ces marchés, nous avons essayé d’élargir l’offre en donnant par exemple plus de place à la BD et au disque. Mais changer l’image d’un magasin reste extrêmement difficile.
La source média référencée est manquante et doit être réintégrée.

D’autres librairies sont-elles menacées ?

M. B. : environ un tiers de notre parc est en souffrance. Mais nous soutenons ces magasins parce qu’il existe des marges de manœuvre. Pour certains, nous avons ainsi identifié une possibilité de réduction de surface avec la mise en place d’une zone de services accueillant la commande express et/ou le "click and collect". Mais qui dit réduction de voilure dit aussi réduction d’effectifs.

Comme beaucoup de librairies, vous êtes en recherche de trésorerie. Il s’agit même d’une "boussole pour les mois à venir" avez-vous indiqué aux salariés. Quel est votre plan d’actions ?

M. B. : Nous avons, comme dans quasiment tous les commerces, contingenter les achats. Nous avons également redistribué les stocks morts en ponctionnant dans les stocks âgés de plus d’un an de chaque magasin pour alimenter le centre logistique et servir notamment les commandes express. Depuis le 15 juin, la réception a été réintégrée dans toutes les librairies alors qu’elle était concentrée au centre logistique. Nous avons aussi pris contact avec nos bailleurs afin d’obtenir des franchises de loyers. Mais cela n’a pas été possible partout.

L’occasion représente entre 30 et 35% de votre chiffre d’affaires en livre. Mais le rachat d’ouvrages au comptoir, qui nécessite un certain volant de trésorerie, est complètement bloqué depuis le 17 mars. Quand allez-vous remettre en marche la machine ?

M. B. : Pour ce pan spécifique de notre activité, trois magasins de province sont en phase de test. Il s’agit de voir si le protocole sanitaire mis en place est efficace et surtout de doser l’afflux. Cela fait trois mois que nos clients n’ont pas pu venir nous vendre leurs livres et nous ne savons pas comment ils vont se comporter. Par conséquent, il est difficile d’estimer le besoin en cash que cela va exiger. Au vu des résultats des tests, nous reprendrons, ou non, à l’échelle nationale le rachat au comptoir. Le rachat en ligne, lui, n’a jamais cessé. Il ne nécessite pas le même protocole sanitaire ni le même besoin de trésorerie.

Allez-vous faire appel aux aides contenues dans le plan de relance annoncé la semaine dernière par les ministres de la Culture et de l’Économie ?

O. P-G. : ces aides s’adressent majoritairement aux librairies de moins de 10 salariés. De fait, quasiment tous nos magasins en sont exclus.
La source média référencée est manquante et doit être réintégrée.
En novembre dernier, vous avez ouvert un nouveau magasin dans le centre commercial Qwartz, à Villeneuve-la-Garenne. Est-ce un format que vous allez développer ?

M. B. : Pour le moment, les premiers retours ne sont pas suffisamment probants pour en faire un modèle à l’échelle nationale. Nous cherchons plutôt à nous recentrer sur l’exploitation de de petites entités parisiennes intra-muros, cohérentes en termes de loyer et proposant une offre resserrée. Notre modèle a longtemps reposé sur l’exhaustivité, mais cela ne correspond plus à la demande. Aujourd’hui, nous devons nous concentrer sur notre outil logistique pour être capable de livrer vite mais à peu près n’importe où.

Disposez-vous d’autres leviers de croissance ?

M.B. : nous allons augmenter la mécanisation de notre centre logistique afin de dégager des économies et éviter le sur-commissionnement dans chaque magasin. Parallèlement, nous regardons aussi les villes où nous disposons de plusieurs magasins afin de nous recentrer sur une surface unique. Dans un contexte tendu économiquement et de résistance en interne, nous ne disposons plus de la richesse nécessaire pour entretenir un tel parc [17 magasins, ndlr].

Comment comptez-vous lever cette "résistance en interne" que vous évoquez, cristallisée par l’annonce des liquidations ?

M.B. : nous désirons entamer un nouveau processus relationnel avec nos salariés. Pour cela, nous nous appuyons sur notre nouvelle direction marketing et communication, créée en début d’année et pilotée par Rodolphe Bazin de Caix. L’organisation de notre service commercial en fonction des secteurs d’activités (livres, papeterie, disques) devrait également contribuer à fluidifier les relations et à faire remonter les expériences et compétences de chacun des magasins. Mais cela ne pourra se faire que dans des dispositions sereines et non partisanes.

Les dernières
actualités