Rémunération des auteurs

Lucie Le Moine (La Charte) : « Le ministère de la Culture doit défendre la partie faible du contrat, à savoir les auteurs »

Lucie Le Moine, co-présidente de La Charte - Photo La Charte

Lucie Le Moine (La Charte) : « Le ministère de la Culture doit défendre la partie faible du contrat, à savoir les auteurs »

Une mission de médiation menée par Pierre Sirinelli, sur demande de la ministre de la Culture Roselyne Bachelot, rassemble depuis juin 2021 auteurs et éditeurs. Mécontente de l’absence d’avancées sur la question de la rémunération, La Charte s’est retirée des négociations le 31 janvier. Pour Lucie Le Moine, co-présidente de cette association rassemblant 1 400 auteurs et illustrateurs jeunesse, le déséquilibre des rapports de force entre éditeurs et auteurs empêche toute entente entre les parties.

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Par Charles Knappek
Créé le 01.02.2022 à 17h39

La Charte a annoncé hier s’être retirée des négociations professionnelles entamées en juin 2021 par les collèges d’éditeurs et d’auteurs. Quelles sont les raisons de votre départ ?
Nous avons un désaccord de fond et de forme sur la négociation actuellement menée avec le collège des éditeurs. Sur le fond d’abord, les mesures annoncées sont insuffisantes, compte tenu de la situation catastrophique des auteurs dont la précarité ne cesse d’augmenter. Sur la forme ensuite, la feuille de route prévoyait que les discussions porteraient sur la rémunération et s’achèveraient mi-novembre 2021. Le sujet n’ayant pas pu être abordé dans les temps, un premier report a été décidé pour la mi-février. Mais la réalité, c’est qu’aujourd’hui nous n’avons toujours pas pu discuter de manière frontale les enjeux liés à la rémunération des auteurs. Au bout de huit mois et de 300 heures de travail bénévole, on nous propose de signer un accord intermédiaire à la mi-février dans la perspective d’un second round de discussions à venir. Mais celui-ci aurait lieu après l’élection présidentielle, avec un autre ministre et sans cadre déterminé. Nous retirer de la discussion est une manière forte de montrer notre désaccord avec le système de négociations tel qu’il nous est imposé.

Le président du SNE Vincent Montagne a pourtant fait état de quelques avancées lors de ses vœux…
Pour commencer, je rappelle que ces négociations sont confidentielles et que toutes les parties s’étaient engagées à ne pas communiquer avant la fin des échanges. Quant aux avancées annoncées elles-mêmes, la semestrialisation des versements est nécessaire car personne n’accepte d’être payé une fois par an, mais elle est insuffisante si les revenus des auteurs n’augmentent pas dans le même temps. Les engagements pris en faveur d’une meilleure transparence et de l’encadrement de la fin des contrats vont dans le bon sens, mais restent insuffisants. Le sujet de la transparence porte sur la possibilité pour l'auteur d'avoir plus d'informations sur l'exploitation de son œuvre, à l'international et au niveau national. Cela recouvre par exemple l'exploitation sous format poche, les traductions, les dérivés marketing ou merchandising. En revanche, il n’y a aucune avancée sur le sujet de la rémunération. Et nous présenter comme une avancée la communication d’informations relatives à la vie de notre œuvre, ne nous semble rien d’autre qu’une évidence qui ne devrait même pas faire l’objet d’une négociation…

Quelles sont vos revendications pour la rémunération des auteurs ?
S’agissant des auteurs et illustrateurs jeunesse que nous représentons à La Charte, nous défendons un rattrapage du niveau des droits d’auteur, avec un taux minimum autour de 10 %. Aujourd’hui, nous sommes en-deçà de ce qui se pratique en littérature générale. Par ailleurs, il nous semble urgent de mettre sur la table la question de la rémunération du travail de création. Nous ne sommes rémunérés aujourd'hui que sur l'exploitation de nos œuvres, alors que le marché du livre repose en grande partie sur une économie de la commande. Il semble normal qu'un travail de création sollicité par un éditeur soit rémunéré et sécurisé en tant que tel. Nous souhaitons aussi discuter de la durée de cession des droits. Cette réflexion sur la rémunération, nous souhaiterions la mener avec les autres organisations représentant les autrices et auteurs, pour continuer sur la belle dynamique initiée au sein du collège auteurs lors de ces négociations.

Que préconisez-vous pour faire avancer la discussion entre auteurs et éditeurs ?
Nous attendons d’abord un engagement plus fort du ministère de la Culture. Il ne suffit pas de dire qu’on va mettre auteurs et éditeurs autour d’une même table pour espérer trouver une solution. Le ministère doit défendre la partie faible du contrat, à savoir les auteurs. Le déséquilibre structurel de la relation empêche une négociation équilibrée. Au terme de ces huit mois de discussions, nous avons surtout le sentiment d’avoir été baladés. La conséquence en est l’épuisement de notre engagement militant. Il est extrêmement difficile de mener de front une carrière d’autrice et des négociations interprofessionnelles. Aurélie Gerlach (co-présidente de La Charte, également engagée dans la discussion, ndlr) et moi-même nous sommes mises en danger professionnellement et financièrement sans aucun résultat tangible pour la rémunération des auteurs.

Le ministère de la Culture a diligenté une étude consacrée à la littérature jeunesse, dont les résultats ne sont pas encore pleinement accessibles…
Cette étude est supposée dresser un tableau précis de la littérature jeunesse, mais elle demeure incomplète. Les volets auteurs et libraires ont été réalisés, mais pas le volet éditeurs. Dans le cadre de l'élaboration de cette étude, la Charte avait été énormément mobilisée, mais il n'y a pas eu de réunions depuis un an et demi. Seuls des résultats partiels ont été partagés, à notre demande, sans que nous ayons jamais pu obtenir les résultats complets et stabilisés concernant le volet auteurs. Nous déplorons la situation car ces données nous permettraient d'avoir un tableau précis de la situation des auteurs jeunesse en France, ce qui est nécessaire, mais aussi parce que nous nous sommes beaucoup impliqués dans les réunions, encore une fois de manière bénévole, et que nous n'en voyons pas le résultat.

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