Interview - Rentrée d'hiver 2024

Marie Charrel, une certaine idée de l’Amérique

Les Pérégrines

Marie Charrel, une certaine idée de l’Amérique

Avec La fille de Lake Placid (Les Pérégrines), Marie Charrel revient sur la construction d'une icône, en la personne de la chanteuse américaine Lana del Rey. Entretien.

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Par Sean Rose 
Créé le 11.01.2024 à 19h25

Livres Hebdo : Pourquoi Lana del Rey pour un roman dans la collection « Les Audacieuses » ?  N’est-elle pas une chanteuse à l’image glamour à rebours de la rebelle ?

Marie Charrel : En réfléchissant à ce mot « audacieuse » j’ai vite pensé à Lana del Rey et notamment à sa poésie. J’ai été captivée par son recueil, Violette sur l’herbe à la renverse (Seuil, 2022). Pour ceux qui ne la connaissent pas bien, elle a cette image de chanteuse pop rock,  comme il y en a beaucoup. Mais en vérité, elle joue sur les codes de la féminité des années 1950, 1960 et tous ces albums sont loin d’être formatés selon les canons des hits, certains ne sont pas si faciles. J’aime cette façon qu’elle a de parler d’elle ou de son personnage tout en dressant un portrait de l’Amérique assez acide, mais avec la grâce et la légèreté de la poésie.

 

Derrière la fille de Lake Placid apparaît la figure de Joan Baez…

Au départ de mon livre, il y avait ce portrait de Lana del Rey par Joan Baez, qui a arrêté sa carrière de chanteuse pour se consacrer à la peinture. On peut le trouver sur son site. Or je savais que Joan Baez ne peint que les personnes qu’elle aime. Et puis la reine de la folk des années 1960 avait accepté de remonter sur scène aux côtés de Lana del Rey. Lana del Rey était allée la voir dans sa ferme. L’ancienne héroïne de la contest song et la jeune chanteuse à l’allure sophistiquée. A priori, ces deux-là n’ont rien à voir, et pourtant… C’est, je pense, une certaine idée de l’Amérique qui les rapproche, une Amérique terre de liberté et d’émancipation, de conquête des droits. Il y avait tous les ingrédients pour un roman. Je me suis plu à imaginer leur rencontre (cela n’est pas dû du gâteau de convaincre Joan Baez de chanter avec elle), à écrire sur leur amitié.

 

Vous êtes-vous basée sur un matériau biographique existant ?

Livres, articles de presse, interviews… j’ai lu et regardé tout ce qu’il y avait sur elle. Sa relation avec son père, son quotidien dans sa ville natale, les dialogues, tout ça est fictionnel. Mais ce dont je me suis surtout inspirée pour écrire sa vie est son univers. Bien sûr, l’ambiance de ses chansons et de ses poèmes que j’insère dans le récit, mais aussi de son univers mental. Lana del Rey est imprégnée des films de David Lynch, j’ai essayé dans La fille de Lake Placid d’en transposer l’esthétique.

 

Écrire sur Lana del Rey n’est-ce pas aussi écrire sur une génération – les millennials ?

Ce qui m’a intéressé chez Lana del Rey est l’écart entre son personnage, une jolie jeune femme mélancolique chantant cette Amérique iconique des années 1950 (qui n’a sans doute jamais existé), un personnage construit, comme celui que se construit toute icône pop (Bowie, Michael Jackson, Madonna) et la fille née en 1985 dégoûtée par le monde d’aujourd’hui, appartenant à une génération désenchantée. Contrairement à Joan Baez et sa génération qui croyaient aux utopies, Lana del Rey ne semble pas vouloir s’engager, c’était comme si elle disait : c’est trop tard, tout ce qu’on peut faire c’est écrire des poèmes et chanter.
 

 

Marie Charrel, La fille de Lake Placid,  Les Pérégrines, « Les Audacieuses », 270 p., 20 euros. 

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