Entretien

Marlon James : « Je présente la violence avec honnêteté, c'est quelque chose que l'on doit voir »

Marlon James - Photo © Mark Seliger

Marlon James : « Je présente la violence avec honnêteté, c'est quelque chose que l'on doit voir »

L'auteur jamaïcain Marlon James, Booker Prize 2015, a répondu aux questions de Livres Hebdo à l'occasion de la promotion de Léopard noir, loup rouge (Albin Michel). Un titre adoubé par la critique, tome 1 de la trilogie de fantasy Dark Star, et qui se poursuivra avec Moon Witch, Spider King (Random House, 2022) à paraître en français chez Albin Michel en 2024.

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Par Adriano Tiniscopa
Créé le 11.10.2022 à 17h06

Livres Hebdo : Votre livre présente plusieurs cartes du monde de Léopard noir, loup rouge, réalisées par vos soins, avez-vous d’autres talents ?

Marlon James : Oh mon dieu, j’espère (rires). Pour réaliser ces cartes, j'ai dû réapprendre à me servir de Photoshop. J’ai été designer graphique, illustrateur et directeur artistique, notamment pour le chanteur Sean Paul, pour qui j'ai conçu des pochettes d'album. Sinon je suis un très mauvais chanteur.

Notre avant-critique disait de votre ouvrage qu’il s’inspirait « des récits présents dans les traditions orales de différents pays africains (des vallées de l’Omo, du fleuve Niger, de l’empire Songhaï…) ». Etes-vous d’accord avec cette analyse ?

Oui tout à fait. J'ai aussi puisé dans les récits du royaume de Segu, de l'empire du Ghana, et beaucoup de cités de l'ouvrage se basent sur la ville de Timbuktu. Ces lieux m'inspirent car, et bien que je sois sans aucun doute jamaïcain, je suis aussi originaire d'Afrique de l'Ouest, mes ancêtres sont venus par bateau d'esclaves. Par contre, le deuxième tome se déroule principalement en Afrique du Sud.

De quoi est rempli votre grenier à légendes et mythes ? Comment l’avez-vous constitué ?

Je me suis plongé dans des mythes ouest-africains, dans des histoires de griots du Sénégal et du Nigéria. J’ai étudié de nombreuses épopées africaines, comme celles du souverain Sundiata. J'ai lu quelques livres historiques, mais pas énormément car l’histoire européenne de l’Afrique est à mes yeux raciste et idiote. Il y aussi des écrivains qui m'ont nourri comme Bessie Head, Chinua Achebe, Amos Tutuola...

Selon certaines critiques, votre livre est violent, parfois gore. Qu'est-ce que vous en pensez ?

Je ne trouve pas nécessairement que mon livre soit gore. Je présente la violence avec honnêteté car je considère que c'est quelque chose qu'on doit voir et qui doit déranger. Cette violence existait en tout cas dans le contexte historique de mon livre. D'ailleurs, la fantasy n'empêche pas que l'histoire soit reliée à la réalité que vivent mes personnages.

"Je pense à Jean-Paul Sartre, Jean Genet, André Gide" 

Votre vie d’écrivain a-t-elle changé depuis que vous avez reçu le prestigieux Man Booker Prize en 2015 pour Brève histoire de sept meurtres (Albin Michel, 2016) ?

Je me sens plus observé et suivi depuis. Les gens font attention à ce que je prépare. Mais ça n’affecte pas ce que je produis car si vous commencez à écrire en pensant à ce qu'attend le public, ça vous compromet. Personnellement je ne serais pas heureux dans cette situation. Et je me considère chanceux qu'on continue de s'intéresser à ce que je fais, car ma seule motivation est d'écrire ce que j’ai envie de lire.

Comment un auteur aussi connu, comptant parmi les personnalités les plus influentes du monde selon Time Magazine, travaille-t-il avec les maisons d’édition en gardant son esprit, sa liberté et son indépendance ?

Les maisons d’édition me laissent seul et n'interfèrent pas. C'était plus compliqué quand j’ai dû écrire pour la télévision. Parfois, j'étais dans une salle avec une quinzaine de personnes qui souhaitaient constamment changer mon texte, ayant tous une opinion sur ce que je devais modifier... Le chemin est dur pour être notoire, pour garder l’attention, pour construire cette carrière. D'une certaine manière, je pense avoir mérité aussi cette tranquillité.

De quelle nature sont vos relations avec les plumes françaises ?

Je pense à Jean-Paul Sartre, Jean Genet, mais aussi André Gide et son livre Si le grain ne meurt, qui a été très important pour moi. J'adore Jean-Claude Izzo et Jean-Patrick Manchette pour leurs romans noirs. Ce que j'apprécie chez les écrivains français c'est qu'ils parlent d’eux-mêmes sans prétention tout en restant restant vrais. Ce que les auteurs américains n’arrivent pas à faire encore je trouve... Et puis le fait d'être noir m’a aussi conduit vers d'autres auteurs comme Maryse Condé, Alain Mabanckou, Aimé Césaire et Négritude. J'ai étudié Frantz Fanon durant mes cours de sociologie quand j’étais à l'université et James Baldwin, qui m’a aidé à construire la personne que je suis.

Comment se passent vos relations avec la maison Albin Michel ?

C’est terrible… (rires). Ils croient en mon travail. Ils ont été très méticuleux pour la traduction. Ils m’ont plusieurs fois contacté pour me signaler des fautes dans l’ouvrage en anglais. La traductrice a passé beaucoup de temps, a posé une multitude de questions. C’est une bonne relation, et je suis motivé par l’intérêt qu’il exprime à l'égard de mes projets.

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