Chronique Juridique

Metavers et droit d'auteur (I/II)

Miguel Candela / ANADOLU AGENCY / Anadolu Agency via AFP

Metavers et droit d'auteur (I/II)

Après la vague des NFT, voici celle du métavers, présenté comme un nouveau monde, à défaut d’être pour l’heure un nouvel Eldorado ! Il est donc plus que nécessaire, pour les professionnels du livre, de maîtriser les subtilités juridiques de cet univers dématérialisé afin d’en tirer profit ou, a minima, d’y préserver leurs droits.  

Du Samouraï virtuel à la naissance de Meta

La naissance du terme métavers remonte à 1992 et au livre Le Samouraï virtuel de Neal Stephenson. Il vient du grec meta, qui signifie « au-delà » et verse, qui renvoie à un « univers ».

En 1999, le septième art s’est emparé du sujet du métavers à travers le film Matrix, où le légendaire Keanu Reeves navigue entre la Matrice et le monde réel sous le nom de Neo. Ce chef d’œuvre cinématographique des sœurs Wachowski, qui a marqué toute une génération, dépeint une humanité asservie par les machines, faisant vivre les hommes dans une réalité virtuelle.

Plus récemment, en 2018, le film de science-fiction Ready Player One de Steven Spielberg renouvelle le thème du métavers. En 2045, dans un monde marqué par des désastres écologiques et rongé par la guerre, la famine et la pauvreté, le film raconte l’histoire de Wade Watts, qui poursuit une quête pour obtenir le contrôle de l’OASIS, univers totalement virtuel que l’humanité utilise comme exutoire.

Le métavers s’analyse donc en un univers au-delà du réel, où réalité physique et réalité virtuelle ne forment plus qu’un. A l’intérieur, une communauté d’utilisateurs interagissent entre eux en temps réel sous la forme d’« avatars ».

Bien loin de n’être qu’un concept abstrait et futuriste, le métavers se concrétise aujourd’hui sur internet. Mark Zuckerberg, qui a renommé l’entité exploitant Facebook en « Meta », a d’ailleurs expliqué que, selon lui, dans le métavers tout sera possible : se réunir avec ses amis et sa famille, travailler, apprendre, jouer, acheter, créer.

Et, durant la récente campagne présidentielle, Emmanuel Macron a fait allusion au projet de création d’un « métavers européen ».

Si le métavers soit un monde dématérialisé, les questions juridiques relatives à sa régulation sont bien réelles. Le métavers s’incarne actuellement en un pouvoir horizontal, sans l’intervention de l’État. Il convient donc d’examiner attentivement les interactions qui ont lieu dans ce nouvel univers alternatif, avant que celui-ci ne se transforme en une zone de non droit numérique.

La protection des œuvres dans le métavers

Rappelons que les simples idées sont exclues de la protection par le droit d’auteur, l’« œuvre de l'esprit » devant exister sous une forme perceptible par les sens, c'est-à-dire apte à être vue, entendue ou touchée. Ainsi, pour qu’une œuvre de l’esprit soit protégée, il est nécessaire que celle-ci soit formalisée.

En outre, le Code de la propriété intellectuelle (CPI) est muet sur le type de support sur lequel l'œuvre doit être fixée. Cette omission a été réalisée à dessein par le législateur, afin de ne pas limiter le bénéfice de la protection par le droit d’auteur à la condition de la fixation de l’œuvre sur une liste exhaustive de supports, pour ainsi inclure les supports futurs n’existant pas encore.

C’est ainsi que les règles de la propriété littéraire et artistique s’appliquent, en théorie, au domaine du numérique.

A ce titre, il faut reconnaître une protection par le droit d'auteur aux œuvres de l'esprit présentes dans le métavers, sous réserve que ces œuvres répondent à la condition d’originalité.

La nécessaire adaptation des contrats de cession de droits d'auteur

En matière de droit d’auteur, le principe dit « d’interprétation restrictive des cessions » s’impose. En clair, le cessionnaire ne peut se prévaloir que des droits qui lui ont été expressément cédés. En parallèle, le CPI, qui interdit « la cession totale des œuvres futures », exige que le contrat de cession mentionne le champ d'exploitation des droits cédés quant à son étendue et son objet, quant au lieu et quant à la durée.

A défaut de l’existence d’un contrat en bonne et due forme, l’auteur reste seul titulaire de ses droits. Tout ce qui n’est pas expressément cédé dans le contrat est conservé par lui, et violer cette règle c’est encourir une action en contrefaçon. La jurisprudence est particulièrement stricte sur ce point. Le cédant ne pourra d’ailleurs en rien exciper de la propriété matérielle d’un fichier numérique pour combattre cette règle essentielle de la propriété littéraire et artistique.

Ainsi, s’agissant de la cession d’une œuvre audiovisuelle, l’énumération des modes d’exploitation doit être presque exhaustive, de façon à ne pas bloquer un développement ultérieur de l’œuvre sous une forme non encore rentable aujourd’hui. A titre d’exemple, une entreprise qui souhaiterait exploiter une œuvre audiovisuelle sous forme de NFT devra également mentionner cette possibilité dans le contrat, en ce qu’il s’agit d'un mode d'exploitation à part entière, à côté de la simple exploitation dans le métavers.

En outre, si nombre de clauses contractuelles ont été imaginées par les professionnels du secteur à la suite du développement accéléré des nouvelles technologies, de telles anticipations s’avèrent insuffisantes pour intégrer l’exploitation des œuvres dans le métavers. En effet, les clauses utilisées par les praticiens se réfèrent au monde réel et non au monde virtuel, quand bien même l’exploitation de l’œuvre sur Internet est incluse dans le contrat.

Le métavers pourrait s’analyser en un mode d’exploitation inédit, auquel les usages contractuels devront se conformer en le visant expressément dans les clauses de cession. D’autant plus que, si un doute subsiste sur la portée d’une cession de droits d’auteur, la convention sera interprétée en faveur de l’auteur. Sans adaptation des contrats, le risque encouru est la contestation systématique par les auteurs de l’utilisation de leurs œuvres dans le monde virtuel.

De ce fait , si les œuvres présentes dans le métavers sont bel et bien protégées par le droit d’auteur, la mise en œuvre de la protection dans ce nouvel environnement numérique sera précisée par la jurisprudence. Des interrogations subsistent dans la mesure où le métavers en est encore à ses débuts, et il est complexe d'envisager le nombre infini de possibilités que ce monde virtuel a à offrir.

Le métavers amène donc à repenser les règles existantes, sans que nous ayons nécessairement besoin d’en rédiger de nouvelles. Ce monde virtuel conduit à une sorte de gymnastique intellectuelle : il s’agit de choisir parmi les outils existants pour trouver une protection efficace sur un bien virtuel. Dans cet esprit, les enjeux des contrats portant sur les droits d’auteur sont en pleine mutation et leur contenu devra être modifié afin de répondre aux besoins induits par le métavers. En définitive, des outils existent : il s'agit de trouver les bons, et de préciser leur application à ce nouvel environnement numérique.

 

(à suivre)

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