Premier roman britannique

Nick Bradley, «Tokyo, la nuit» (Belfond) : Un chat dans la ville

Nick Bradley - Photo DR

Nick Bradley, «Tokyo, la nuit» (Belfond) : Un chat dans la ville

Nick Bradley nous montre la face cachée de Tokyo et nous entraîne dans ses méandres avec comme guide et fil rouge de son récit un félin agile. Tirage à 5200 exemplaires.

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Par Sean J. Rose
Créé le 31.05.2021 à 19h07

Même s'il compte parmi nos animaux domestiques, le chat conserve une irréductible part d'indépendance et de mystère. D'où les vertus ou les vices qu'on lui prête. Selon les cultures ou la couleur de son pelage, il portera chance ou malheur. Pour les Japonais, c'est la chance surtout lorsqu'il s'agit d'un chat isabelle, dit aussi calico, à la robe tricolore : noire, rousse et blanche. Il est traditionnellement figuré en statuette porte-bonheur, assis la patte de devant levée - le maneki-neko qu'on trouve dans tous les restaurants de ramen ou de sushis.

Le chat est partout présent dans le pays du Soleil-Levant : dansant en kimono dans les estampes de Kuniyoshi ou dans la croyance populaire sous l'apparence de yôkai (créatures merveilleuses), comme le bakeneko qui adopte la station debout et tue son maître pour prendre ses traits ou encore le nekomata qui, lorsque quelqu'un maltraite son matou, réveille les morts afin qu'ils vengent l'animal brutalisé... Nick Bradley est un spécialiste du chat nippon, il en connaît toutes les représentations et les légendes. Et dans son premier roman, en même temps qu'un motif, le félidé à la fourrure calico est un fil rouge qui relie les pages d'une singulière topographie de la capitale japonaise. Tokyo, la nuit est une fiction polymorphe sous forme de récits, de notes de détective, de manga... Pour parler de l'effervescente mégalopole, quel meilleur guide qu'un chat agile se faufilant dans l'entrelacs des rues comme dans les méandres de la pensée de ceux qui le croisent. Ici il est le compagnon d'infortune d'un de ces « indésirables », ces sans-abri, dont la municipalité veut se débarrasser en vue des Jeux olympiques, là il apparaît comme par malice sur le dos de la jeune fille à l'étrange prunelle « iridescente vert pâle » qui se fait tatouer par l'un des derniers horishi de la ville, virtuoses de l'aiguille et de l'encre. C'est en avatar typographique, son nom écrit en kanji (caractère chinois), qu'il surgit dans le dictionnaire que feuillette la traductrice Flo Dunthorpe... Les histoires de Tokyo, la nuit qui rebondissent grâce au chat témoin montrent au-delà du folklore la face cachée de la société japonaise : le chikan (le harcèlement sexuel dans le métro bondé), un racisme patent à l'égard des personnes d'origine coréenne, et cette immense solitude urbaine qu'attestait déjà en 1923 Sakutar? Hagiwara dans sa poésie: « Ah ! La seule chose capable de dormir dans cette grande nuit urbaine/Est l'ombre d'un chat bleu/L'ombre d'un chat qui raconte la triste histoire des hommes/L'ombre bleue du bonheur me fuit/À jamais je poursuivrai cette ombre. »

Nick Bradley
Tokyo, la nuit Traduit de l'anglais par Maxime Berrée
Belfond
Tirage: 5 200 ex.
Prix: 21 € ; 320 p.
ISBN: 9782714494238

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