Ah Sahara ! Sahara ! Heureux les fans qui soutiennent leur pays au foot, leurs cœurs patriotiques battent la chamade à l'unisson au rythme des actions de leurs joueurs sur le terrain. Pour une fois, la Coupe d'Afrique des Nations (CAN) qui se tient normalement en février aura lieu pendant les grandes vacances, et les protagonistes adolescents de Laâyoune, en attendant de Nicolas Rouillé auront tout loisir de suivre les matchs. Quoique, en vrai, ces supporters soient sans équipe nationale : ce qu'ils considèrent être leur patrie n'est pas reconnu par l'ONU. Ancienne colonie espagnole, le Sahara occidental est revendiqué par le Maroc qui contrôle à 80 % le territoire. Le reste constitue la République arabe sahraouie démocratique (RASD), créée par le Front Polisario, mouvement autochtone indépendantiste. Les jeunes du nouveau roman de Nicolas Rouillé supportent toute équipe qui joue contre le Maroc.
Le narrateur de Laâyoune, en attendant habite dans une de ces provinces du Sud administrées par Rabat. Il est sahraoui comme ses copains du lycée Hassan II, et comme la majeure partie de la population de cette marche méridionale du Royaume chérifien, sise entre l'océan à l'ouest, l'Algérie à l'est, et la Mauritanie au sud. Il se souvient qu'enfant, l'été, les familles sahraouies plantaient leur tente à la plage, comme dans la badiah, « le désert », avant qu'elle soit truffée de mines... Alors vu qu'on ne peut bouger nulle part, « la CAN estivale est une véritable aubaine ». Mais Maalouma, camarade de classe du narrateur, ne se contente pas des buts marqués par les équipes adversaires. Il nous faut, dit-elle, venger l'humiliation qu'a fait subir le professeur d'histoire surnommé le Sultan au petit Daddach. Ce dernier, fils du grand combattant sahraoui Daddach, souffre d'une déficience mentale due à la police qui empêcha l'admission de sa mère à l'hôpital lors de sa naissance prématurée. Sachant le caractère timoré du petit Daddach, le Sultan l'avait fait venir au tableau et lui avait demandé de montrer sur une carte les frontières du Maroc qui, selon l'enseignant, englobent le Sahara occidental. Devant le désarroi mutique de l'élève au handicap cognitif, le Sultan l'avait menacé de l'envoyer en prison, le petit Daddach s'était pissé dessus...
À travers un récit à la fois picaresque et extrêmement bien documenté, l'auteur de L'or et l'arsenic (Anacharsis, 2024, Prix du livre du réel 2024), comme pour chacun de ses ouvrages, s'immerge dans le vif de son sujet pour mieux le traduire littérairement- une vivacité des dialogues incarnant la révolte de ses personnages. Il nous raconte ici la tragédie du Sahara occidental, et traite plus largement la question de ces haines ataviques nourries par le sang versé et les plaies jamais refermées.
Laâyoune, en attendant
Anacharsis
Tirage: 2 000 ex.
Prix: 18 € ; 160 p.
ISBN: 9791027905065
