22 SEPTEMBRE - PHILOSOPHIE France

"Nous sommes en quelque sorte ce dont nous nous souvenons, ou ce dont nous croyons nous souvenir." L'ouvrage vaudrait presque d'être lu pour le seul texte de Daniel Innerarity tant il pointe, de manière claire, les grandes questions qui se posent aux pensées de l'histoire. Le philosophe espagnol, à qui l'on doit l'excellent essai sur la politique Le futur et ses ennemis (Climats, 2008), définit l'historiographie comme "une tentative complexe, et toujours susceptible d'être révisée, de trouver une signification à ce qui n'est présent ni dans les séquences chronologiques, ni dans les intentions de ceux qui ont été leurs protagonistes".

Autrement dit, l'histoire échappe en partie à notre pouvoir. Nous tentons de nous la réapproprier par des explications destinées à façonner notre identité et celle des autres. "L'histoire, c'est ce que l'on raconte pour expliquer comment les circonstances de quelque chose se sont modifiées, sans que cette modification puisse être déduite à partir de règles déjà connues."

Mais ce serait faire injustice à ce remarquable ouvrage collectif dirigé par Christophe Bouton et Bruce Bégout que de passer sous silence les autres contributions. De la rupture de Marx jusqu'à notre époque, qualifiée de "nos siècles de catastrophes", des philosophes et deux historiens tentent d'envisager une autre manière de traiter de la question de l'histoire.

Chacun aborde la thématique à sa façon et toujours de manière originale. Sabina Loriga opte pour le prisme de la biographie, Marc Crépon s'appuie sur l'oeuvre d'Imre Kertész afin d'expliquer pourquoi nous avons besoin de la littérature pour saisir l'histoire, Florian Nicodème s'attache à la notion d'événement historique tandis que Christophe Bouton distingue les "acteurs" des "auteurs" de l'histoire.

Dans cet ensemble aussi dense que passionnant, on sent qu'il s'est passé quelque chose et que les philosophes - du moins ceux qui ont participé à ces travaux - se sont vraiment intéressés aux historiens en train de faire l'histoire. Non dans l'absolu, tentation naturelle du philosophe, mais pratiquement, concrètement. Ainsi que le note Jacques Revel dans sa préface, on y voit enfin se rompre une sorte de dialogue de sourds entre les deux disciplines.

A un moment où s'engage une réflexion de fond sur le sens de la transmission de l'histoire et sur le rôle de l'Etat dans cette transmission à travers le projet de la Maison de l'Histoire de France voulu par Nicolas Sarkozy, un tel livre est susceptible d'ouvrir bien des pistes de réflexion. "L'histoire, écrit Daniel Innerarity, ne réfute ni ne démontre quelque projet politique que ce soit." Tous les contributeurs de cet ouvrage montrent au contraire que les hommes font au moins autant l'histoire qu'ils ne sont faits par elle.

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