Diffusion-distribution« Nous avons la souplesse du fantassin »

« Nous avons la souplesse du fantassin »

Président directeur général d'Harmonia Mundi livre - Benoit Coutaz - Harmonia mundi livre - Photo Olivier Dion

« Nous avons la souplesse du fantassin »

P-DG d'Harmonia Mundi, Benoit Coutaz, qui a succédé à son père en 2015, développe le diffuseur-distributeur arlésien trentenaire en misant sur une relation forte « de croyance et d'engagement » avec les éditeurs qu'il distribue._ par Pauline Leduc

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Par Pauline Leduc
Créé le 09.01.2019 à 12h01

Livres Hebdo : Alors que plusieurs maisons vous ont rejoint ces derniers mois, pensez-vous bénéficier du mouvement de concentration de la diffusion-distribution ?

Benoit Coutaz : Oui,en effet. Nous sommes sollicités par des maisons qui sont chez d'autres diffuseurs et se trouvent incommodées par cette concentration. Certains ne comprennent plus trop ce qui se passe.
La source média référencée est manquante et doit être réintégrée.
On ne va pas leur proposer de conditions commerciales si différentes, mais ils cherchent d'abord un autre état d'esprit. Ce phénomène s'accélère depuis un an. L'arrivée de nouveaux éditeurs s'explique aussi par notre changement de périmètre. Depuis 2015, nous nous sommes recentrés sur notre activité de diffusion-distribution de livres [suite à la cession à PIAS groupe, en juin 2015, de l'activité musicale, NDLR]. Cela joue certainement sur notre image : les éditeurs savent que notre société va bien et qu'elle est stable.

Comment sélectionnez-vous les catalogues que vous allez porter ?

B. C. : Un peu comme un éditeur face à des manuscrits. Il faut que nous soyons enthousiasmés par le projet, qu'on ressente l'envie de le faire découvrir au plus grand nombre. Il est essentiel d'avoir une relation de croyance et d'engagement, entre l'éditeur et le diffuseur. C'est LE critère. Il y a des maisons d'édition que nous n'accueillerons pas parce que nous ne nous reconnaissons pas dans les valeurs qu'elles portent. Nous privilégions des ouvrages exigeants qui représentent une diversité culturelle, sociale et politique. C'est cette cohérence qui nous permet d'avoir une relation de confiance avec les libraires : lorsqu'un de nos représentants entre en magasin, il arrive avec des propositions pour de nombreux rayons (jeunesse, sciences humaines, littérature, essais, beaux livres, roman graphique) qui sont toutes respectueuses d'un certain état d'esprit, connu des libraires.

Mais vous ne pouvez pas leur proposer les mêmes services que les grosses structures ?

B. C. : Si. Nous nous occupons de maisons de différentes tailles, telles Picquier, L'Aube, Champ Vallon, Le Bec en l'air ou Martin de Halleux, qui couvrent un large éventail éditorial que nos représentants savent parfaitement défendre. Nous sommes présents au quotidien dans plus de 5000 librairies, tant au premier niveau qu'au second. Suivant le livre, nous pouvons aussi intervenir dans tous les points de vente comme cela a été le cas, pour Ne plus me mentir : entretiens avec Nicolas Hulot (L'Aube) : nous avons réagi en 48 heures et mis en place 15 000 ouvrages partout, supermarchés et Relay compris. Face aux plus grosses structures, notre force c'est notre légèreté et donc notre réactivité. On a la souplesse du fantassin. Et cela joue aussi pour les innovations et réorganisations que nous mettons en place dans l'entreprise.

Vous avez d'ailleurs investi dans la télévente. Quel bilan en tirez-vous ?

B. C. : Depuis un an, nous avons renforcé la télévente, avec trois postes dédiés. Chacun gère 450 comptes, contre 250 pour un représentant classique. Si certains libraires ont pu être étonnés au début, le concept monte en puissance puisqu'ils y trouvent un confort certain : les rendez-vous ont plus de souplesse, on peut à tout moment les interrompre et les poursuivre suivant la disponibilité du libraire. Grâce à l'outil que nous avons créé, une sorte de Skype, le télévendeur peut prendre le contrôle, à distance, de son écran d'ordinateur pour mener à bien la réunion. Cela nous permet d'être au plus proche des librairies qui sont difficiles à toucher en raison de leur taille, spécialisation ou localisation, tout en répondant à la problématique d'hypersollicitation que vivent les libraires. Cette solution réduit nos frais de déplacement.

N'avez-vous pas peur que cela les coupe de la réalité du terrain ?

B. C. : Ce qui est intéressant c'est la mixité de nos équipes. A côté, nous avons 10 représentants commerciaux qui ne font que du terrain. Les télévendeuses rencontrent cinq fois par an les éditeurs et, en aval, elles sont appelées à rencontrer certains libraires et vont donc parfois sur le terrain. Il est important qu'elles ne perdent pas la notion physique de la librairie et de ses mutations.

Quelles sont les mutations auxquelles vous êtes confronté ?

B. C. : Il y a deux éléments marquants qui s'intensifient. La centralisation des achats dans de nombreuses chaînes de magasins freine les visites de représentants et change la relation commerciale.Nous avons donc décidé de renforcer le pôle enseigne avec la création d'un poste en septembre 2018. L'autre mutation importante concerne l'organisation de l'approvisionnement de la part des libraires qui travaillent en flux tendu. On voit la multiplication, de manière quasi quotidienne, des commandes unitaires, ce qu'on appelle la mono ligne. Pressés par les sites de vente en ligne, les libraires n'attendent plus d'avoir plusieurs demandes avant de passer la commande pour être certains d'avoir le livre au plus vite. Cela implique une modification de notre partie distribution et logistique.

De quelle manière ?

B. C. : Nous avons réorganisé notre chaîne de réassort en inversant notre fonctionnement. Auparavant, il y avait des rangements organisés autour de la production des éditeurs. Maintenant, tout le fonctionnement de notre chaîne s'articule autour des rotations de vente, c'est-à-dire autour des commandes journalières et hebdomadaires des libraires avec une partie du personnel dédiée aux commandes unitaires. C'est un gain de temps puisque les ouvrages sont moins dispersés, nous sommes donc plus réactifs. Par ailleurs, nous nous adaptons à la demande de traçabilité des livres en temps réel. Cela veut dire des scanners supplémentaires, une relation transporteur plus fine et un enrichissement de notre service clients.  

Quel regard portez-vous sur les difficultés du marché du livre ?

B. C. : Sur l'offre que nous défendons, le marché est bon. Je pense qu'une grande part de ce qu'on appelle « la crise » du livre tient au fait que certaines grosses locomotives, qui tractaient le chiffre d'affaires des librairies, se vendent moins. C'est un des risques de la concentration des grandes maisons d'édition. Moins il y a d'acteurs sur un marché ou plus les acteurs grossissent et se phagocytent, plus la diversité éditoriale est mise à mal, et donc quelque part la démocratie culturelle. Je peux vous assurer que l'offre des éditeurs que nous défendons suscite l'intérêt et se renouvelle. Il suffit de voir le succès d'Emil Ferris Moi, ce que j'aime, c'est les monstres, chez Monsieur Toussaint Louverture, avec plus de 40 000 exemplaires vendus.

Harmonia Mundi est actionnaire de plusieurs éditeurs, tels L'Aube et MeMo : comptez-vous poursuivre ces investissements ?

B. C. : Je ne m'interdis rien. Il n'est pas question de créer une maison d'édition mais je n'exclue pas d'entrer en participation chez certains éditeurs ou de lancer des collections labellisées Harmonia Mundi Livre : notre image peut faire sens dans certains domaines.

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