Il pleut. De bon augure pour rencontrer celui qui fit l’éloge de cette condition météorologique dans un poétique essai, De la pluie. Martin Page nous attend à la sortie de la gare de Nantes. La fine barbe qui lui obscurcit les joues le vieillit un peu mais ne parvient pas à lui ôter son faux air d’éternel étudiant. Il faut dire qu’il a longtemps "débuté" ses études. Quatre premières années, "où j’ai à peu près tout étudié : le droit, la philosophie, l’histoire de l’art, l’anthropologie". Peu lui chaut le diplôme, il désire écrire, envoie des manuscrits, les refus ne le découragent pas. Et puis un jour, le coup de fil. A Dominique Gaultier, le patron du Dilettante, ses aventures d’un jeune intello inadapté se convertissant à l’idiotie ont plu. Ce premier roman publié à l’âge de 25 ans est un best-seller. Depuis, l’auteur de Comment je suis devenu stupide (Le Dilettante, 2001), et dont les livres sont traduits au Brésil ou en Corée, a vécu, du moins survécu de sa plume. Il aligne les publications : fiction, essais, livres pour la jeunesse ainsi que les petits boulots : gardien de nuit, pion…

Aujourd’hui, Martin Page ne fait plus qu’écrire mais a déménagé avec son amie dans l’ancienne capitale des ducs de Bretagne et a troqué ses douze mètres carrés à Belleville "pleins de cafards" contre un espace plus accueillant pour sa bibliothèque et Penny Lane, leur chat, dans le centre de Nantes. La précarité d’antan s’est transformée en harmonie tranquille propice à l’écriture. Son "métier" se partage entre chez lui et un atelier, petit phalanstère d’illustrateurs et de graphistes. "A l’angle de la rue du Calvaire", précise-t-il avec le sourire. L’auteur né en 1975 récuse en vérité l’idée romantique de l’artiste maudit qui devrait forcément souffrir. "Hitchcock était un chef d’équipe, cela ne l’a pas empêché de construire une œuvre profonde et singulière. Shakespeare était un écrivain et un acteur, et il faisait partie d’un collectif. Bien sûr, la solitude est là, mais réduire la création littéraire à ce moment est une supercherie." Pourquoi ajouter des handicaps à un réel déjà hostile ? La douceur n’est pas la tiédeur, Martin Page n’est pas de ces pisse-froid qui fustigent l’alliance de l’utile et de l’agréable.

Culture décontractée.

Pour parler de son dernier ouvrage, Manuel d’écriture et de survie, il nous emmène dans un endroit qu’il affectionne : Les Bien-aimés, une librairie-café où l’on peut casser la graine dans une atmosphère de culture décontractée. Manuel d’écriture et de survie est une fiction sous forme épistolaire où Page se met en scène dans son propre rôle d’écrivain correspondant avec une certaine Daria, romancière en herbe. "Dans la veine de Lettres à un jeune poète de Rilke". Deleuze, Karl Kraus, Aimé Césaire, Sylvia Plath, beaucoup d’auteurs sont cités mais aucune cuistrerie. L’aîné dispense ses conseils à la cadette avec bienveillance et naturel : "Le meilleur professeur, c’est le désir (voilà une belle chose que nous a enseignée le punk). Si tu as des choses à exprimer en dessin, en musique, en cuisine, alors vas-y. C’est ta passion qui t’éduquera, ton obstination et ton plaisir à affronter les difficultés. Ne sois surtout pas raisonnable." Il se raconte tout autant : "J’étais un enfant chétif et solitaire" ; "Je ne vais pas te mentir : la souffrance me rend souvent visite, la dépression est un corbeau sur mon épaule."

Martin Page se souvient du classique de la littérature jeunesse Mon bel oranger du Brésilien José Mauro de Vasconcelos, ou de Roald Dahl, comment le merveilleux de la langue l’avait, enfant, tant fasciné. Ce sortilège des mots, il l’a perpétué dans des histoires destinées au jeune public : "Il y a du jeu entre ces deux univers, et c’est créativement passionnant. Et puis, j’écris mes livres jeunesse aussi pour les adultes." Aussi pour l’auteur du Manuel, la question "pourquoi écrivez-vous ?" ne se pose-elle pas. "C’est une chose si magique que ne pas le faire est pour moi incompréhensible. Tout le monde devrait écrire. En tout cas, avoir cette possibilité et s’y sentir autorisé." Quant au writer’s block, la page blanche tant redoutée ? Connaît pas. "C’est plutôt publisher’s block", plaisante-t-il. Pour cet ouvrage bien différent des précédents, il a dû changer d’éditeur. Martin Page n’en ressent aucune amertume. Si l’écriture, c’est la vie, il ne saurait y avoir d’écriture sans vie. "Etre écrivain, c’est aussi ne pas écrire. Marcher, lire, prendre des notes, convoquer nos personnages dans notre esprit, divaguer. Faire du sport ou s’allonger dans l’herbe, car après tout notre corps a des choses à nous dire." Cela rappelle beaucoup l’artiste du mouvement Fluxus, Robert Filliou : "L’art n’est qu’un moyen pour rendre la vie plus intéressante que l’art." Sean James Rose

Manuel d’écriture et de survie, Martin Page, Seuil, 14 euros, 176 p., ISBN : 978-2-02-117488-5. Sortie : 2 mai.

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