Avant-critique Essai

Philippe Sands, "38, rue de Londres. De l'impunité, Pinochet et le nazi de Patagonie" (Albin Michel)

Philippe Sands - Photo © Samuel Kirszenbaum/Albin Michel

Philippe Sands, "38, rue de Londres. De l'impunité, Pinochet et le nazi de Patagonie" (Albin Michel)

Rentrée littéraire

Examinant les liens entre Pinochet et un ancien nazi en exil, Philippe Sands livre une enquête remarquable sur les crimes de la dictature chilienne.

Parution 28 août

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Par Laurent Lemire
Créé le 14.08.2025 à 09h00

Complices dans le mal. Mettre patiemment en place les pièces d'un vaste puzzle, après une enquête scrupuleuse sur le terrain, la recherche des témoins et le dépouillement des archives, avec la propre mise en scène de l'auteur au cœur du dispositif. Telle est la démarche de Philippe Sands. Elle a fait ses preuves avec ses précédents ouvrages comme Retour à Lemberg (Albin Michel, 2017, près de 30 000 exemplaires GfK) et La filière (Albin Michel, 2020, 22 000 exemplaires GfK). Nous retrouvons ici, en toile de fond, les reliquats du nazisme avec deux personnalités qui se ressemblent et s'assemblent au nom de leur anticommunisme et de leur haine de la démocratie.

Le premier n'est autre qu'Augusto Pinochet (1915-2006). Le dictateur chilien est arrêté à Londres en 1998 pour « génocide, torture et terrorisme » à la suite d'une plainte déposée en Espagne par une famille dont les membres ont été torturés puis éliminés par la DINA (Dirección de inteligencia nacional). Cette police politique chilienne se situait notamment au 38, rue de Londres, à Santiago, dans un quartier chic, comme l'était à Paris le 93, rue Lauriston pour la Gestapo française durant l'Occupation.

Le second personnage s'appelle Walter Rauff (1906-1984). Ce criminel nazi, officier de la SS, proche de Heydrich, est l'inventeur des camions à gaz dans lesquels des milliers de Juifs ont été exterminés. Arrêté en 1962 au Chili où il s'est exilé, il est libéré par décision de la Cour suprême chilienne en 1963 qui considère que ses crimes sont prescrits. Officiellement, il dirige une conserverie de crabe royal à Punta Arenas. Officieusement, il travaille pour Pinochet à la conception du camp de concentration de l'île Dawson, au sud du Chili, où disparaîtront de nombreux opposants au régime. C'est ce que va nous apprendre Philippe Sands.

L'avocat franco-britannique a le chic pour tisser des ouvrages qui mêlent l'Histoire, le droit, la politique et bien sûr la littérature car il n'y a pas de passé sans l'imaginaire qui l'accompagne. D'ailleurs, la piste de Rauff lui est suggérée par un roman de Roberto Bolaño paru en 2000, Nocturne du Chili (Bourgois, 2002) où un personnage d'origine allemande l'évoque.

Pinochet finit par rentrer au Chili mais l'arrestation de Londres fut un tournant pour toutes les victimes des dictatures. Une digue s'était rompue. La parole des survivants et des torturés se libéra et permit d'obtenir des informations sur les atrocités commises, comme ce fut le cas pour la Colonia Dignidad, cette communauté allemande installée au sud de Santiago qui servit de centre de détention et de torture sous la dictature militaire de Pinochet. À une époque où de nombreux chefs d'État s'affranchissent des règles, Philippe Sands rappelle que le droit reste une aventure, comme la justice, une épopée à raconter et dont il ne faut jamais sous-estimer les rebondissements. Et ce 38, rue de Londres illustre parfaitement la réflexion du pénaliste italien des Lumières Cesare Beccaria : « La certitude qu'il n'existe nul endroit sur terre où les crimes demeureront impunis peut constituer un moyen efficace de les prévenir. »

Philippe Sands
38, rue de Londres. De l'impunité, Pinochet et le nazi de Patagonie
Albin Michel
Traduit de l’anglais par Christophe Beslon
Tirage: 18 000 ex.
Prix: 23,90 € ; 450 p.
ISBN: 9782226493446

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