avant-portrait RENTRÉE LITTÉRAIRE > Anne et Claire Berest

Les livres sont une affaire de fraternité de goûts, parfois de fraternité tout court. Les sœurs Brontë sont un exemple d’émulation fructueuse, Edmond et Jules de Goncourt consignent leurs souvenirs dans un même Journal. Anne Berest et Claire Berest sont toutes deux écrivaines en leur nom propre. Mais lorsqu’on les voit ensemble, nul ne doute de leur complicité, l’une finit la phrase pour l’autre, elles ne se disputent pas les lauriers : "J’ai publié en premier, précise l’aînée, mais Claire a écrit avant moi." Leur sororité a quelque chose des Demoiselles de Rochefort : ces élégantes Parisiennes (Anne a cosigné chez Random House un best-seller en anglais sur le sujet, How to be Parisian wherever you are) sont plus complémentaires que jumelles. Claire, la cadette, est très enjouée, un brin rock’n’roll. Dans la vingtaine elle est devenue chanteuse dans un groupe et a tourné deux ans au Canada et aux Etats-Unis avant de devenir prof puis de démissionner. Anne a l’air posé, plus sur la réserve. Elle a travaillé pour un théâtre contemporain et y a créé la revue Les Carnets du Rond-Point. Elle a monté son entreprise, Porte-Plume, une structure éditoriale qui propose des biographies pour les particuliers.

Cette fois, elles ont décidé d’entremêler leurs écritures pour une biographie tout à fait originale, à la mesure de la géniale singularité de leur sujet : Gabriële Buffet-Picabia. Compositrice d’avant-garde, égérie dada, épouse du peintre Francis Picabia, maîtresse du cher ami de ce dernier, Marcel Duchamp ("à un moment donné c’est "un trouple"", soulignent les biographes), puis d’Igor Stravinsky, et meilleure amie d’Apollinaire… "Gabriële" est aussi leur arrière-grand-mère.

Une femme libre

Anne et Claire souhaitaient "faire quelque chose ensemble" comme pour retrouver le terrain de jeu de l’enfance, ces heures éternelles où elles jouaient à la poupée. Ecrire à quatre mains, oui, mais sur quoi ? Anne, en lisant la biographie de Duchamp par Bernard Marcadé, découvre l’importance de Gabriële Buffet-Picabia, "cette personnalité hallucinante" morte à plus de 100 ans et dont elles connaissaient vaguement l’existence. Pour cause : le dernier-né du couple Picabia, le grand-père maternel, Vincente, rejeté par sa propre famille, se suicide très jeune lorsque la mère des sœurs Berest était encore enfant. L’orpheline sera elle-même considérée comme "un vilain petit canard" par ses grands-parents et fera une croix sur cette parentèle-là. Anne et Claire traversent ainsi le début de leur vie sans rien savoir de leurs illustres ancêtres. Trois ans de travail - lectures de biographies, entretiens, épluchage d’archives - aboutissent à un résultat étonnant où la narratrice, un unique "je", raconte avec fluidité la modernité d’une femme libre faisant fi des conventions, qui osait écrire dans ses notes intimes : "Une femme dont le mari a beaucoup de maîtresses n’est pas forcément trompée."

Sean J. Rose

 

Gabriële d’Anne et Claire Berest, Stock. 21,50 euros, 450 p. Sortie : 23 août. Isbn : 978-2-234-08032-4

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