Les assises de la lecture publique à Nancy ne se tiendront donc finalement pas. Envisagées par Benoît Yvert avant son départ de la Direction du livre et de la lecture, elles étaient programmées pour le mois de septembre prochain. L'abandon de ce projet révèle l'état dans lequel se trouve la politique du ministère de la Culture en matière de lecture. Il n'est pas même possible de l'interroger ! L'action se suffirait à elle-même. Il faut dire que depuis des années, les verbes d'action ont tenu lieu de politique. Construire : le maillage du territoire en bibliothèques constitue un objectif en lui-même. Ouvrir : encore récemment, le ministère a affiché son souhait d'augmenter le nombre d'heures d'ouverture à présent que les bâtiments sont construits. Numériser : maintenant que la technologie le permet, les énormes collections des bibliothèques françaises doivent entrer dans le monde numérique. Mais l'action ne fournit pas le sens de la politique. Pourquoi construire une bibliothèque ? En quoi cela a-t-il du sens par rapport à la population (individuellement et collectivement) ? Pourquoi faut-il ouvrir davantage les bibliothèques ? Est-ce bien parce qu'elles détiennent des informations dont elles ont le quasi-monopole ? Quel est le projet qui sous-tend la numérisation ? Que fait-on quand on consacre des budgets si importants à la numérisation de traces du passé alors que chaque établissement est livré à lui-même pour construire une offre de documents numériques audiovisuels actuels ? A ces questions s'ajoutent d'autres plus profondes qui devraient surgir de la prise en compte de notre société contemporaine. En quoi les bibliothèques permettent-elles aux citoyens de surmonter les épreuves auxquelles ils sont confrontés aujourd'hui (précarité, individualisation, concurrence) ? En quoi cette institution est-elle nécessaire à l'existence de notre société ? Les assises de la lecture publique auraient pu être l'occasion de poser ces questions non pour le plaisir de succomber à la mode du « Grenelle » mais parce qu'il est nécessaire de le faire. Les bibliothécaires eux-mêmes ont besoin et envie de trouver du sens à leur métier. Par exemple : ouvrir le dimanche ce n'est pas seulement ouvrir plus, c'est rendre service à la population et à la collectivité en rendant possible la fréquentation d'un lieu qui la fait vivre. Vis-à-vis de la population dans son ensemble, on ne peut pas non plus évacuer la question du sens. Pourquoi faut-il une bibliothèque dans ma commune (ou intercommunalité) ? Il ne suffit plus de se référer à la nécessité du service public de la culture. L'argument d'autorité n'est plus opérant et doit céder la place à un discours crédible et convaincant à l'heure où l'état des finances publiques exigera des choix de plus en plus douloureux parmi les dépenses. C'est donc au moment où il serait particulièrement important de susciter des débats pour fournir des réponses que le ministère y renonce. C'est d'autant plus regrettable que le ministre avait vu juste en plaçant sa politique dans le cadre de la « culture pour chacun » (cf. le post « L'audace de la “culture pour chacun” : propositions Mitterrand sur la BPI et la BNF » ). C'est dommage et incohérent d'abandonner cette belle question : qu'est-ce que la lecture publique à l'heure de la culture pour chacun ? Il ne faut pas s'en priver ! Cette question passionnante ne pourrait-elle pas être reprise par la BNF ? Après tout, n'est-elle pas le vaisseau amiral des bibliothèques ? Peut-elle abandonner les milliers de bibliothèques qui forment sa flottille quand s'annonce la tourmente ? Ne doit-elle pas lui fournir un débat sur le cap à prendre en plus des notices de catalogage ? Le contexte s'y prête et il existe dans les bibliothèques et chez les bibliothécaires une ouverture, une disponibilité qu'il serait désolant de laisser en jachère. Les responsables et porte-paroles de la profession doivent être à la hauteur des enjeux, des attentes et du foisonnement qui germe dans les bibliothèques !
15.10 2013

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