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Qui veut la peau des directeurs de collection ?

Qui veut la peau des directeurs de collection ?

Au 1er janvier 2019, les directeurs de collection indépendants ne pourront plus être rémunérés en droits d'auteur. Le statut de ces professionnels, exclus par l'Agessa du régime de sécurité sociale des artistes auteurs, s'affirme comme le principal chantier des services juridiques des maisons d'édition à la rentrée. _ Par Marine Durand

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Par Marine Durand,
Créé le 30.08.2018 à 17h31

Qu'adviendra-t-il des 900 directeurs de collection de l'édition française ? Payés, pour une majorité d'entre eux, en droits d'auteurs sur les ventes, ces apporteurs de projets indépendants devront trouver d'ici au 1er janvier 2019 un nouveau statut pour exercer leur profession. En octobre 2017, l'Agessa (Association pour la gestion de la sécurité sociale des artistes auteurs) a annoncé un changement de doctrine remettant en question, par principe et de façon rétroactive, leur affiliation. En avril dernier, un arbitrage du ministère des Affaires sociales et du ministère de la Culture est venu enfoncer le clou. Qualifiée de « séisme » dans l'édition, cette décision pourrait mettre en péril tout un pan de la création. « On a été pris de court, j'ignore où je vais cotiser et comment je vais m'organiser en janvier, s'exclame Thibaud Eliroff, directeur de collection fantasy chez J'ai lu. Et puis nier l'apport intellectuel et artistique des directeurs de collection, en ne les considérant plus comme des artistes auteurs, cela me choque profondément. »

Le débat a mis un coup de projecteur sur la diversité des profils des directeurs de collection, maillons méconnus mais essentiels de la chaîne de publication. Comme beaucoup de ses confrères, Thibaud Eliroff cumule sa mission chez J'ai lu avec une autre activité dans le domaine du livre. Qu'il soit en parallèle auteur, traducteur, éditeur ou correcteur, artiste, journaliste, universitaire ou enseignant dans le domaine des sciences humaines, voire une personnalité publique mettant sa renommée au service d'un label - Najat Vallaud-Belkacem à la tête d'une collection d'essais chez Fayard depuis janvier, Céline Tran, ancienne star du porno qui dirigera Porn'pop chez Glénat dès septembre -, le directeur de collection porte une ligne éditoriale et choisit les projets à développer en accord avec la maison d'édition. Le travail sur le texte, qui entre dans le périmètre du droit d'auteur, dépend des situations.


« Lorsque la personne ne fait qu'amener des auteurs et signer de temps à autre une préface, l'usage du droit d'auteur est clairement abusif », admet-on au service juridique d'une grande maison de littérature. « Il était sans doute nécessaire de revoir ce statut, qui a pu être mal utilisé, reconnaît le P-DG de Madrigall, Antoine Gallimard, qui a signé dès mars une tribune sur le sujet dans Le Figaro. Mais pourquoi ne pas en revoir les critères, et décider au cas par cas ? Ce qui nous choque, c'est avant tout la brutalité de cette décision de l'Agessa, sans étude de l'impact et dans une méconnaissance totale du rôle des directeurs de collection », relève-t-il.

Flou juridique

De fait, la mesure laisse éditeurs et directeurs de collection dans un flou juridique. Pauline Mardoc, directrice de la collection « 15 ans et plus » chez Pocket Jeunesse, a reçu le 3 août sa lettre de l'Agessa l'informant qu'elle ne pourrait désormais être payée qu'en « salaires ou en honoraires, selon les conditions d'exercice concrètes de [son] activité » :« c'est cinq mois à peine avant qu'on se retrouve à la rue. Et quand j'ai demandé ce que je faisais au 1er janvier, on m'a répondu que j'allais évidemment être salariée. C'est bien le signe d'une bureaucratie en total décalage avec le quotidien des maisons ! »

Parmi les solutions envisagées côté employeurs, le salariat et ses 42 % de charges, loin des 1,10 % payés sur les droits d'auteur, figurent en effet en bas de la liste. Chez Gallimard, « on n'y aura recours que si nous n'avons pas le choix pour garder les gens », prévient Antoine Gallimard. Même position chez Albin Michel, où l'on a déjà alerté les directeurs de collection sur les bouleversements à venir. Editis préfère déléguer ce « sujet sensible » au Syndicat national de l'édition, qui a fait parvenir à ses adhérents un document de travail avec les options à envisager. Le paiement sur facture, et en premier lieu le statut de micro-entrepreneur, semble se profiler pour les nouveaux contrats. Mais les contrats déjà existants posent un véritable casse-tête.


« Comment se mettre en conformité tout en respectant les termes de contrats signés à l'époque ? Et faudra-t-il demander à des personnes âgées, avec qui nous collaborons depuis longtemps, de se lancer seules dans ce type de démarches ? » s'interroge Marie-Hélène Lernould, directrice juridique de Média-Participations. Plus coûteuse en termes de cotisations pour les directeurs de collection (22 % contre 10 % pour les droits d'auteurs), l'option du micro-entreprenariat prévoit aussi un plafond de revenus annuel de 70 000 euros, qui pourraient être dépassés en cas de gros succès en libraire. Et cette solution n'est pas valable pour les enseignants et universitaires, nombreux parmi les directeurs de collection et seulement autorisés à cumuler leur poste avec la production d'une « œuvre de l'esprit »... qui est précisément couverte par le droit d'auteur.

Une bataille,
mais pas la guerre


« La rémunération en droits d'auteur n'était pas idéale, mais elle permettait au moins de voir ses efforts récompensés, via un pourcentage sur les ventes. Je touche encore des droits sur des livres publiés il y a quatre ans », relève Agnès Marot, auteure, éditrice freelance et directrice d'une collection young adult chez Scrinéo. Même inquiétude pour Pauline Mardoc, qui n'imagine pas comment « établir des factures correspondant à notre pourcentage sur les ventes » puisse être légal. « Nous sommes déjà isolés et cette réforme nous précarise encore plus. J'ai songé à arrêter mon activité, mais ce serait renoncer à des sommes futures qui me sont dues », constate-t-elle, amère. L'Agessa a-t-elle signé l'arrêt de mort des directeurs de collection ? « Il ne faut pas les perdre, cela appauvrirait considérablement la création », observe Laurent Laffont, directeur général de Lattès. Chez Leduc.s, le directeur associé, Pierre-Benoît de Veron, craint que cette réforme ne soit la première étape d'une refonte plus globale, qui touchera ensuite les conseillers éditoriaux et directeurs d'ouvrages. Malgré l'arbitrage ministériel défavorable rendu en avril, un léger espoir subsiste pourtant au sein des organisations professionnelles. Début juillet, le SNE a déposé un recours pour excès de pouvoir devant le tribunal administratif, assorti d'une demande de suspension en référé. Aucune décision n'avait encore été rendue au moment du bouclage de cet article. Egalement mobilisé dans cette bataille, Geoffroy Pelletier, le directeur général de la Société des gens de lettres (SGDL), envisage sérieusement de venir appuyer la démarche du SNE via un mémoire en intervention volontaire. « Les négociations sur le régime social des auteurs, un autre chantier qui nous attend à la rentrée, pourraient aussi être l'occasion de rouvrir le débat. »

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