Crise sanitaire

Reconfinement en Guadeloupe et Martinique : la chaîne du livre dans le désarroi

Le reconfinement de la Martinique et la Guadeloupe est "catastrophique", selon Florent Charbonnier, éditeur et fondateur de Caraïbéditions. - Photo ©Olivier Dion

Reconfinement en Guadeloupe et Martinique : la chaîne du livre dans le désarroi

Alors que les départements de Guadeloupe et Martinique sont strictement reconfinés, les professionnels du livre sont désemparés face à cette nouvelle vague et ses conséquences sur leur activité. 

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Par Cécilia Lacour
Créé le 19.08.2021 à 18h00

"Catastrophique", "infernal", "interminable", "nous sommes en souffrance"… Libraires et éditeurs sont dans la tourmente depuis que la Martinique et la Guadeloupe ont été placées, respectivement les 10 et 13 août, en reconfinement strict pour tenter d’endiguer la quatrième vague qui touche très sévèrement ces deux départements français. Un reconfinement décrété jusqu'à début septembre. Par arrêté préfectoral, les bibliothèques ont dû de nouveau fermer leurs portes. Classées "commerce essentiel", les librairies sont, elles, toujours ouvertes. 

Pour les professionnels du livre, ce quatrième confinement est un nouveau coup dur. "Les librairies sont certes ouvertes mais les habitants ne peuvent pas se déplacer", affirme Florent Charbonnier, éditeur et fondateur de Caraïbéditions. En effet, selon les arrêtés préfectoraux, les déplacements sont autorisés dans un rayon de 1 km en Martinique et de 5 km en Guadeloupe autour du domicile. Au-delà, les habitants doivent remplir une attestation de déplacement dérogatoire. 

Sans compter qu’il existe "une véritable inquiétude aux Antilles vis-à-vis de la pandémie que nous ne voyions pas pendant les confinements précédents : de nombreuses personnes restent chez elles parce qu’elles commencent à avoir réellement peur du Covid", souligne Florent Charbonnier. "L’impact psychologique de ce quatrième confinement est très important sur la population", confirme par ailleurs Jean-Claude Malaud, gérant de la librairie Kazabul à Fort-de-France (Martinique). Depuis le début du reconfinement, son enseigne accuse une fréquentation en baisse de plus de 50 %. "Et elle n’est pas compensée par des commandes sur notre site internet", précise le libraire. Pour l’heure, Jean-Claude Malaud n’a pas recours au chômage partiel pour ses salariés. "Je ne sais même pas si j’ai le droit de le faire puisque nous sommes une activité essentielle…", s'interroge-t-il.

Désertion des touristes

Comme si cela ne suffisait pas : les voyageurs ont aussi déserté ces départements touristiques. "Cela peut paraître anecdotique mais les touristes représentent une grosse clientèle en juillet et août. De nombreux ouvrages, comme Tintin ou Le Petit prince en créole, sont ramenés dans les valises en tant que souvenirs. Et quand les Antillais de l’Hexagone retournent en métropole à la fin de l’été, ils repartent avec des livres de chez eux", explique Florent Charbonnier. 

Située au sein de l’aéroport international Martinique Aimé Césaire, la librairie Aeropresse voit aussi sa fréquentation chuter drastiquement. Si bien que son chiffre d’affaires "a baissé de plus de 50 %", souligne Corinne Valluet, gérante d’Aeropresse. "Depuis le 26 août 2020, un décret empêche les non-voyageurs d’entrer dans l’aéroport. Sauf que d'habitude, un voyageur vient généralement avec quatre accompagnants", explique-t-elle. Autant de clients potentiels qu’elle ne voit plus passer les portes de sa librairie. Sans compter que les voyageurs "prennent du retard à l’enregistrement parce qu’il y a une file d’attente infernale, et n’ont donc plus le temps de faire des achats", ajoute-t-elle. 

Malgré sa localisation géographique, Aeropresse peut d’ordinaire compter sur une clientèle d’habitués. "Je les ai perdus depuis le 26 août 2020, regrette Corinne Valluet. Ils ne peuvent pas entrer dans l’aéroport et je n’ai pas suffisamment de personnel pour faire du click-and-collect et les livrer sur le parking". Car, depuis le début de la pandémie, la libraire n’a pas pu renouveler ses contrats à durée déterminée (CDD) ni remplacer ses salariés partis à la retraite. 

Manque de transports

La chaîne du livre n’est pas seulement pénalisée par une drastique baisse de fréquentation et de ventes de livres mais aussi par le transport. La Martinique et la Guadeloupe doivent acheminer les ouvrages depuis l’Hexagone par avion (livraison sous une semaine) ou par bateau (livraison sous quatre semaines). Logiquement, les libraires privilégient généralement la livraison par avion. Mais, depuis l’annonce du reconfinement, le transport aérien s’est lui aussi fortement réduit. Par conséquent, "le fret aérien a explosé. Et puisque le transport coûte plus cher, les libraires commandent moins", assure Florent Charbonnier. 

"Le coût du transport a explosé et nous nous attendons à une nouvelle hausse des prix", confirme Jean-Claude Malaud. A défaut de pouvoir augmenter le budget alloué au transport des ouvrages, le libraire a donc été contraint de restreindre ses commandes. Fort heureusement, il avait anticipé ce quatrième confinement et avait préparé son stock. "Nous avons un fonds très important. Mais ça part vite", déclare-t-il. 

Zéro visibilité

Alors que la rentrée littéraire 2021 vient à peine de débuter dans l’Hexagone, les libraires en Outre-mer vivent principalement du scolaire en septembre et donnent le coup d’envoi de la rentrée le mois suivant. Dans ce contexte, Caraïbéditions a l'habitude de proposer sa rentrée en septembre en métropole, avant de la lancer en octobre dans les Antilles. Face à la situation sanitaire, Florent Charbonnier a, cette année, décidé de reporter sept de ses huit nouveautés de septembre pour les mois suivants. Seule la publication de God Loves Haiti de Dimitry Elias Léger, traduit de l’anglais par Patrick Imbert, est maintenue au 11 septembre.

"Nous avons commencé à passer les commandes par avion pour les titres de la rentrée littéraire mais nous sommes dans une incertitude complète : nous n’avons aucune visibilité sur les réceptions à venir", estime Jean-Claude Malaud.

Alors que leur avenir immédiat est flou, les professionnels du livre s’étonne de devoir encore vivre cette situation. "En mars 2020, la surprise était mondiale. Mais l’arrivée de la quatrième vague a été annoncée : je ne comprends pas comment nous pouvons être dans cette situation catastrophique. Nous avons relancé tous les acteurs de la chaîne économique en mai-juin avant de tout arrêter du jour au lendemain. C’est comme débuter les JO et décider de tout arrêter en plein milieu d’une épreuve", s’agace Florent Charbonnier. 

"On est en souffrance. Je ne sais plus quoi dire. On attend que la situation change", déplore Corinne Valluet. "On vole à vue. On ne sait pas trop où on va et on attend. Notre incapacité à nous projeter a des répercussions sur les mises en place, la communication, le marketing, les dédicaces ou encore la venue des auteurs. C’est infernal", ajoute Florent Charbonnier. "Si la situation s'améliore, tant mieux. Mais je ne pense pas que ce sera le cas dans les quinze prochains jours", prédit de son côté Jean-Claude Malaud. 

 

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