Libres comme l'air. L'humanisme, on s'en fiche pas mal par les temps qui courent. A priori, on se dit que toute pensée est humaine et libre, alors pourquoi palabrer, pourquoi l'enfermer dans un système ? C'est que l'affaire est plus complexe qu'elle ne le paraît. Et pour le comprendre, il faut lire le très enthousiasmant récit de l'essayiste britannique Sarah Bakewell sur ces humanistes fous de liberté. Car cette liberté-là peut se dater. À partir du xive siècle avec Pétrarque. Elle peut aussi se documenter au long cours. Quelques personnalités émergent de ce flot émancipateur : Érasme, -Montaigne, Voltaire, Diderot, Hume, Ludwik Zamenhof et son espéranto, Hannah Arendt. Mais tout cela fait-il une communauté, un groupe, une école ? Oui, nous répond l'autrice à qui l'on doit déjà une subtile histoire de nos existentialistes qui ont réfléchi sur le monde à la terrasse des cafés (Au café existentialiste, Albin Michel, 2018). Après tout, pourquoi pas ? Le lieu est plus propice qu'un amphithéâtre, on y voit de la vie et on a envie de la comprendre. C'est pareil pour ces libres-penseurs. Ils laissent le temps s'écouler. D'abord parce qu'on ne peut l'arrêter. Et ce flot, ils se disent qu'ils pourraient bien l'emprunter pour aller ailleurs, un peu plus loin que leurs désirs. C'est ça la libre-pensée. Une idée qui vole. Elle vous échappe et plutôt que de courir après, vous la laissez filer. Une autre viendra prendre sa place, sans tenir compte du vent, et moins encore des carcans de l'idéologie. C'est ainsi que l'on apprend un peu plus chaque jour sur la complexité de l'univers.
La libre-pensée est une non-école, une école sans les murs. Elle se forge en soi, se développe avec les autres et s'épanouit avec l'horizon. Rien n'est plus difficile à tenir, car il faut sans cesse rester en équilibre entre ce que l'on sait et ce que l'on ignore en se disant qu'on pourrait se moquer de l'un comme de l'autre. Oui, l'histoire de l'humanisme est une aventure abrupte. À une époque où le faux prend si facilement l'apparence du vrai, il faut croire à ce qu'on ne voit pas et espérer en ce qui se manifeste si rarement, dans les interstices de l'ignorance ou de la bêtise. Lire Sarah Bakewell, c'est accéder à une histoire intellectuelle qui devrait encore nous dire quelque chose de la folie de penser un monde meilleur. « La grande leçon de la vie, c'est que, parfois, ce sont les fous qui ont raison », disait Churchill. Mais attention, chez les fous aussi, il faut distinguer la qualité, la profondeur, l'engagement. Et surtout ne pas les confondre avec les déments. Ces derniers n'ont aucune poésie de l'avenir. Leur libre-pensée, c'est leur libre arbitre. Intraitable, injuste, solitaire. « Tout cela paraît assez brumeux, mais je crois vraiment à l'existence d'une tradition humaniste commune et cohérente, et qu'il est pertinent de penser ensemble ses figures historiques. » En reliant sur sept siècles avec une érudition joyeuse ces figures entre elles pour tisser quelque chose qui ressemble à une image de la liberté de penser, Sarah Bakewell montre que son intuition est juste.
Qu'est-ce qu'être humaniste ? Une brève histoire de la libre-pensée
Albin Michel
Traduit de l'anglais par Nicolas Cavaillès
Tirage: 6000 ex.
Prix: 25,90 € ; 528 p.
ISBN: 9782226489838
