Le jour d'après

Sofia Bengana : "rentrer à la maison !"

Sofia Bengana, présidente de Place des éditeurs, en confinement fin avril 2020 - Photo DR.

Sofia Bengana : "rentrer à la maison !"

Quatrième épisode du feuilleton de Livres Hebdo « Le jour d'après »rédigé à tour de rôle par différents professionnels du livre. Aujourd'hui Sofia Bengana, présidente de Place des éditeurs, l'une des branches d'Editis.

Par Fabrice Piault,
Créé le 30.04.2020 à 20h00

« Dans maison d’édition il y a ce mot magnifique : "maison". Belfond, Perrin, Plon, Presses de la Cité et Cherche Midi sont avant tout des maisons. Celles et ceux qui les animent en sont l’âme. Le 17 mars, nous avons fermé les volets, pris congés des uns et des autres, comme dans un film de Sautet. C’était un mardi. Mais cela ressemble rétrospectivement à un Long dimanche de fiançailles.

Depuis plus d’un mois, je suis privée de mes rites. Quand sera reportée notre escapade avec Michel Bussi au Havre, à La Galerne ? Quand retournerai-je déjeuner chez Danielle Steele ? Alors qu’elle est confinée à Paris, je ne peux même pas la voir. Les cafés du Palais Royal seront-ils rouverts lorsque Camille Pascal sortira son nouveau roman, La Chambre des dupes, fin août ? Comment faire vivre l’esprit d’une maison quand celle-ci est inaccessible ?

Jongler avec les dates de reprise

Le confinement a prouvé que ce métier était exercé par des gens à la foi chevillée au corps. Chacun a su maintenir un haut niveau d’engagement. Il a fallu vivre à distance sur Teams, WhatsApp et cie. Pour les professionnels de l’édition, la crise du Covid-19 est ironique. Nous qui « vénérons » le papier imprimé, nous avons été enfermés chez nous avec nos écrans.

Je dois faire un aveu : je n’ai jamais aussi peu lu que ces dernières semaines. Je m’étais pourtant promis de me plonger dans Le drame de 1940, d’André Beaufre, un texte que Benoit Yvert a exhumé et qui doit paraître aux éditions Perrin le 21 mai. Le temps a été absorbé par mes contraintes de mère et mes urgences professionnelles : rassurer les équipes, réparer la casse, jongler avec les dates de reprise d’activité, faire vivre l’esprit d’équipe… Et même participer à la mobilisation de 64 auteurs des maisons du groupe Editis autour d’un recueil de textes en format numérique, Des mots par la fenêtre, dont les recettes seront versées au profit de la Fondation des Hôpitaux de Paris Hôpitaux de de France.

Côté parutions, du point de croix

Passée la stupeur, nous avons dirigé toute notre énergie vers le jour d’après. Le jour d’après ? Ce sera en tout cas le premier jour dehors avec ce virus dans l’air. Le « retour à la maison » va se faire progressivement. Impératifs sanitaires et contraintes parentales en donneront le tempo. Chez Editis, on s’apprête à rouvrir les volets. Les masques ont été livrés ainsi que les solutions hydroalcooliques. L’immeuble de l’Avenue de France, dans le XIIIe arrondissement, à Paris, va être désinfecté.

Côté parutions, nous avons fait du point de croix avec nos équipes de diffusion. La programmation a été allégée et lissée sur l’année et la suivante. Nous sommes dans les starting-blocks pour lancer les nouveautés de Françoise Bourdin et Douglas Kennedy chez Belfond, respectivement les 20 et 28 mai, ou Steve Berry au Cherche Midi le 12 juin. Douglas ne pourra hélas être présent à Paris pour l’occasion. C’est un crève-cœur pour lui. Confiné dans le Maine, il espère venir faire des signatures en France cet été ou à la rentrée.

Les éditions Perrin répondront bien à l’Appel du 18 juin et aux commémorations gaulliennes avec notamment la biographie de De Gaulle et Pétain par Pierre Servent. Le casse-tête du moment concerne les épreuves des livres de la rentrée littéraire. Leur fabrication et leur acheminement sont ralentis par la crise sanitaire. Nos services de presse redoublent d’imagination pour satisfaire à temps les rédactions. Celles-ci attendent notamment Rumeurs d’Amérique d’Alain Mabanckou (Plon), le nouveau Colum MacCann (Belfond) ou le dernier Tayari Jones (Les Presses de la Cité).

Nouveaux rythmes, nouveaux rites

La pandémie a changé notre rapport au temps. L’imprévu se rappelle à nous. Il va nous falloir adopter de nouveaux rythmes et créer les rites qui vont avec. Un nouveau calendrier de l’édition est peut-être à imaginer. Nous espérons tous que la trêve estivale sera cette année écourtée tant notre envie de soutenir nos auteurs et nos livres est intense. Gageons que nous parviendrons à ajouter des offices en juillet pour alimenter raisonnablement les libraires en nouveautés. Le livre a été le héros du confinement (« Lisez », a conseillé le président de la République aux Français). Avec la fermeture des cinémas et des théâtres, et l’annulation des festivals, la lecture va (re)devenir l’activité culturelle numéro 1.

Dès le 11 mai, j’irai rendre visite au libraire de mon quartier. Depuis des semaines, je lis sur sa vitrine : « attendez-nous, nous lisons. Nous vous préparons un grand retour de pépites et de coups de cœurs. » Moi aussi je l’attends, et je serai là à l’ouverture ! J’attends ce moment avec une certaine fébrilité. La « distanciation sociale », cette vilaine expression, va nous imposer de nouvelles contraintes. Elle a déjà eu raison de la tournée printanière des librairies. Elle nous infligera bientôt un nouveau supplice de Tantale : « regarder sans toucher ». Qu’il est bon pourtant de retourner un livre, le feuilleter, le humer. J’ai toujours aimé l’odeur du papier !

Une nouvelle sociabilité culturelle

Cette société distanciée qui se profile nécessitera aussi sans doute d’inventer une nouvelle sociabilité culturelle. Les rencontres « physiques » réservées à un petit nombre vont se développer. Les radios ont leurs « concerts privés ». Nous avons les nôtres ! Il est probable que les grandes messes littéraires empruntent à l’avenir d’autres canaux, virtuels ceux-là. Au mois de mars, Quai du Polar, à Lyon, a montré la voie en se transportant sur le numérique.

Il y a quelques jours le groupe Editis a lancé le premier rendez-vous en ligne des éditeurs avec les producteurs audiovisuels : « Du « Livre à l’écran ». A cette occasion, cinq ouvrages ont été « pitchés ». Les producteurs ont répondu massivement présent. Une expérience encourageante et inspirante, l’heure est assurément à la réinvention.

Ma conviction profonde est qu’il va nous falloir continuer à bousculer nos pratiques, et à décongeler nos dogmes. Cette année où nous avons été privés du printemps ne doit pas déboucher sur un long hiver. La résilience de notre société passera par les livres. »

Et vous ? Racontez-nous comment vous voyez le jour d’après, comment vous imaginez la relance de votre activité en nous écrivant à l'adresse  confinement@livreshebdo.fr

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