Blog : La vie du village

Une affaire de saison

Olivier Dion

Une affaire de saison

Chaque mois, notre chroniqueur Jean-Claude Perrier flâne dans les rues du Quartier latin, souvent le nez en l’air, sur les traces d’un écrivain, d’un éditeur, d’une librairie, sans se priver de saluer des créations, ni de moquer les travers de notre époque, en particulier son charabia.

Contrairement à Vivaldi, qu'on ne présente plus, et à Bartolo, le pizzaiolo napolitain « monté » à Paris dans les années 50, dont l'établissement, rue des Canettes, est devenu culte, comme les tubes du Vénitien, il n'y a pas quattro stagioni, en France, pour publier un roman. Il en paraît chaque jour, presque toute l'année, disons dix mois sur douze. Mais une question, aussi ancienne que les papyrus, les parchemins, les incunables et la Bible de Gutenberg, taraude les auteurs – et pas seulement les primo-romanciers –, et, par voie de conséquence, leurs éditeurs : QUAND faut-il sortir ?

Si l'on écoutait les professionnels de la profession : jamais, tant l'embouteillage est permanent, les critiques débordés, les libraires accablés de cartons qu'ils ont à peine le temps d'ouvrir, les clients potentiels hyper-sollicités, harcelés par tellement de têtes de gondoles tentatrices : « Aie confiance, crois en moi »... Vade retro. 

Bien sûr, il y a la fameuse rentrée littéraire d'automne, avec sa suite de grands prix, une spécificité bien française, qui ne laisse pas de surprendre nos amis italiens, allemands, indiens, tant le retentissement du prix Goncourt est devenu planétaire. Bien qu'il s'agisse là d'une règle non écrite, tacite, et qui peut donc supporter nombre d'exceptions, les jurés des différents prix ont pris l'habitude de ne sélectionner puis de ne couronner quasiment, en novembre-décembre, que des ouvrages parus au mois d'août. Ce qui suppose, vue l'abondance (500 titres en moyenne), qu'ils les aient reçus avant les vacances, puis lus et débattus jusqu'au trophée final. Du coup, les éditeurs, même si chacun jure que, pas comme ses confrères, il a « réduit la voilure », alignent à la rentrée des divisions de romanciers, supposés « primables ». Ce qui ne va pas sans faire grincer quelques dents chez les autres... lesquels se consoleront toutefois bien vite, en constatant combien, à cet exercice, nombreux sont les appelés, et rares les élus.

Il reste alors la rentrée de janvier, presque égale en nombre de titres. On y trouve des Nobel, des académiciens, des auteurs déjà multi-primés, ou des « hors-Goncourt ». Et plein de premiers romans. La critique, requinquée, pleine d'une énergie nouvelle, a le temps de lire, les libraires défont leurs cartons comme autant de paquets cadeaux, les douchettes « sortie de caisses » piaffent. Mais bien sûr, si l'on espère avoir un des grands prix, c'est mal parti. On craint d'être oublié en septembre. La vie des nouveautés peut être brève.

Sinon, pourquoi pas sortir en mars ? C'est le printemps, le Festival du Livre de Paris approche, et, du coup, chaque roman peut espérer franchir le rude obstacle des vacances, cette mer des Sargasses littéraire, et se retrouver, quand même, sur une sélection. Il y a de nombreux exemples de « rattrapages » sur les listes, et même parmi les lauréats. 

Mais si, au fond, tout cela n'avait pas tellement d'importance ? Même si le vendre, c'est encore mieux, publier un livre, c'est déjà miraculeux. 

25.04 2023

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