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Et si on faisait tout Homère ? ». Un soir, autour de la machine à café, le projet surgit de l'enthousiasme de deux éditrices passionnées par les textes anciens et la littérature. Après la nouvelle traduction de l'Enéide par Paul Veyne en 2012, Caroline Noirot, présidente des Belles Lettres, et Hélène Monsacré, chargée des sciences humaines chez Albin Michel et directrice de la collection « Classiques en poche » aux Belles Lettres, évoquent l'idée de rassembler en un volume l'Iliade, l'Odyssée et tous les fragments, moins connus, de la galaxie homérique comme la Guerre des grenouilles contre les rats ou la Bataille de la belette et des souris. Elles savent que Pierre Judet de La Combe (EHESS et CNRS) arrive au bout des 16 000 vers de l'Iliade, après huit ans de labeur. Francis Esménard est lui aussi emballé par le dessein de proposer à destination du grand public un tel trésor. Le président d'Albin Michel sait que la littérature n'a peut-être pas commencé là, mais l'essentiel en a surgi. Dans ce VIIIe siècle avant notre ère, au moment où la civilisation mycénienne s'effondre, surgit ce fait inouï, la chute de Troie. C'est pour retrouver l'intégralité de cet instant capital qu'est né ce projet de Tout Homère.

Hélène Monsacré (Albin Michel).- Photo DR

Cinquante jours de colère

« C'est une entreprise unique qui n'existe nulle part ailleurs, souligne Caroline Noirot. L'alignement des planètes était parfait et notre conviction sans faille. Il nous restait à présenter un travail impeccable, d'une lisibilité totale, pour que tout le monde puisse profiter de cette galaxie homérique. » Dans cette nébuleuse, les fragments représentent un tiers du corpus que l'on ne trouvait que dans des éditions d'érudition avec un texte grec et des commentaires en latin. « Tous ces bouts, il a fallu les recoudre, explique Hélène Monsacré qui a dirigé le volume. Nous avons fait appel aux meilleurs hellénistes pour qu'ils puissent les présenter aussi simplement que possible. Dans ces fragments, on trouve des explications de l'Iliade et de l'Odyssée, mais jamais de morale. C'est ce qui fait que nous pouvons toujours des siècles plus tard discuter de l'œuvre, la relire, y trouver des sources d'inspiration et éprouver des émotions quand Hector s'effondre. »

Ulysse et les sirènes, mosaïque romaine du IIe siècle après J.-C., musée du Bardo à Tunis.- Photo DOMAINE PUBLIC

Pour que chacun puisse circuler facilement dans ce continent poétique, l'ouvrage se dote d'un lexique, d'un index et de notes débarrassées de toutes références philologiques pour se concentrer sur le plaisir du texte. On y trouve aussi des extraits de commentaires anciens et un choix de témoignages antiques sur l'élaboration de la figure d'Homère.

Pendant ce temps, Pierre Judet de La Combe sort de son immersion dans le massif de l'Iliade. Lui qui connaissait pourtant bien le poème s'est laissé happer par la vague des mots.« Ce fut une redécouverte. J'ai été stupéfié par sa profondeur et son unité. La traduction est un moyen de comprendre un texte, j'ai donc voulu savoir de quoi parlait l'Iliade. On ne sait pas parler de violence sans morale, sans faire de leçon. C'est de cela dont nous parle l'Iliade. On ne sait pas pourquoi Zeus veut la destruction de Troie. Ce flot de mots a une forme, une forme qui fait œuvre, mais qui ne conclue pas. »

Des thèmes universels

Il ne veut pas parler d'auteur, au sens où nous l'entendons. Il s'agit pour lui d'un groupe de poètes qui aurait construit au VIIIe siècle avant J.-C. un récit sur la destruction de Troie par la colère d'Achille. « L'Iliade est un poème sur cinquante jours de colère, sur une crise qui raconte comment on entre en violence et comment on en sort. L'Odyssée, c'est le retour à la vie normale. C'est le côté face d'une même médaille. Je n'ai pas choisi la forme métrique, mais j'ai conservé la musicalité des vers. Pour cela j'ai traduit à haute voix. Il me fallait trouver un rythme, très syntaxique, cela la langue française le permet très bien. » Pierre Judet de La Combe a depuis abordé l'Odyssée. Sa traduction verra le jour dans quelques années, trop tard pour figurer dans ce Tout Homère. « Pour cette édition, nous avons repris la célèbre traduction de Victor Bérard qui date de 1924, explique Hélène Monsacré. C'était le cadeau que faisait le grand helléniste aux toutes jeunes éditions des Belles Lettres sous l'égide de l'Association Guillaume Budé. »

Caroline Noirot fait remarquer que le titre du livre est le nom de l'auteur. « Cela montre la spécificité de cette œuvre qui brasse des thèmes universels et qu'on lit toute sa vie en grand format, en poche ou sous la forme d'extraits. Cette édition est un rêve. C'est l'aboutissement du travail de toute une équipe au sein de laquelle personne n'a douté un seul instant. » Dans ce Tout Homère qui parachève en beauté le centenaire des Belles Lettres il y a toute la littérature en gestation, une sorte de livre des livres qui les contient tous et d'où ils sont tous sortis.

Tout Homère, sous la direction d'Hélène Monsacré, postface de Heinz Wismann, traduit du grec ancien par Pierre Judet de La Combe, Victor Bérard, Jean Hubert, Xavier Gheerbrant, Adrian Faure, Christine Hunzinger, Albert Severyns et Gérard Lambin,Albin Michel/Les Belles Lettres, ISBN 978-2-226-43978-9, 1 300 p., 35 euros.

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