Vers une politique culturelle de la demande ?

Vers une politique culturelle de la demande ?

Le Pass Culture correspond à une rupture dans l'histoire des politiques culturelles. La culture n'est plus définie de façon verticale et restreinte mais relève désormais de la libre volonté des jeunes eux-mêmes.

En 2009-2010, Frédéric Mitterrand alors fraîchement arrivé au ministère de la culture avait développé l'idée de la « culture pour chacun ». Il s'agissait de rompre avec la vision des politiques culturelles largement fondées sur la « culture pour tous ». Du Pass Culture au CNL, certains éléments suggèrent que sous le quinquennat Macron, ses successeurs auront comme mis en œuvre cette vision... sans trop l'afficher.

On se souvient en effet que la « culture pour chacun » n'avait pas été du goût de tous les responsables d'institutions culturelles. Ils y voyaient une remise en cause de leur politique d'offre dans laquelle, ils étaient en position de choisir ce qui avait vocation à devenir la « culture pour tous ». Ce discours n'avait donc pas été pris et repris dans le monde culturel ni même au ministère tant il contrarie les acteurs de ce milieu.

Le Pass Culture correspond à une rupture dans l'histoire des politiques culturelles. En lieu et place d'un soutien pour la création ou pour les institutions de diffusion, des ressources sont fournies aux jeunes (désormais de 15 à 18 ans) directement en leur permettant d'accéder à une variété considérable de biens culturels dont bien sûr des concerts ou des spectacles mais en allant jusqu'aux beaux-arts et à la cuisine (qui obtient ainsi une reconnaissance de sa participation à la culture…). Les jeunes peuvent ainsi se procurer des livres de cuisine ou des feutres pour dessiner.

250 millions d'euros de dépenses culturelles

La culture n'est plus définie de façon verticale et restreinte (au sens d'un nombre limité de références s'adressant à tous) mais relève désormais de la libre volonté des jeunes eux-mêmes. Bien sûr le procès en « consumérisme » n'est pas loin et le goût des jeunes peut être rabattu au rang de comportement grégaire et orienté par le marketing. Il n'empêche que le pouvoir est donné aux jeunes et que ceux-ci s'en emparent largement. La généralisation à tout le territoire du dispositif au printemps 2021 s'est accompagnée d'une croissance forte du nombre de jeunes ayant téléchargé l'application et ils sont désormais, 1,5 millions dans ce cas. Ce changement de politique se fait discrètement mais peut prendre une ampleur non négligeable puisque si tous les jeunes utilisaient la totalité des 380€ rendus disponibles, cela représenterait plus de 250 millions d'euros soit un peu plus que le budget de la BnF mais à peine un dixième du budget total du ministère.

De son côté, le Centre National du Livre soutient une vision comparable de la lecture à travers sa campagne #jeliscommejeveux. Le slogan affirme la souveraineté du lecteur sur sa pratique et les différents visuels l'invitent à choisir le support de sa pratique (audio, papier, numérique) ainsi que ce qu'il vient y chercher (évasion, émotion, inspiration), le genre de livre (roman, poésie, polar), le lieu de sa pratique (maison, métro, plage) et les conditions de son exercice (seul, à deux, allongé...). La lecture n'est plus normée et hiérarchisée. Elle n'est plus sacralisée par des lieux ou des rituels : les personnages représentés empruntent tous des symboles de transgression : bandana d'une grand-mère, lecture au lavomatique, boucle d'oreille, lecture d'une tablette, lecture allongé. Seule la lecture demeure dans la diversité de ses modalités, de ses fonctions ou de ses supports.

Ironie de l'histoire ou conséquence, ce virage politique est contemporain du déclin de France-loisirs fondé en 1970. La priorité mise par le club de livres sur le choix des lecteurs a longtemps fait l'objet d'un mépris des tenants d'une politique d'offre. Il n'en demeure pas moins qu'il a largement participé à la diffusion du livre dans les foyers français ainsi qu'à la démocratisation de la lecture. Cinquante ans plus tard, la politique culturelle adopte une posture qui s'en approche. Certains y verront le signe évident d'un renoncement alors que d'autres y trouveront l'expression d'un revirement salutaire bien que tardif.

Les dernières
actualités