Contre les murs. « Tu es malade et c'est de ta faute, tu as tué ton frère, tu as tué ta famille, oui, tu as tué ton chien jaune, tu as tué tes parents, alors on te punit, chaque piqûre, chaque gélule, on te punit et on te punira toute ta vie. » La voix qui parle et se parle dans Le monstre mur de Victor Malzac (Les Corps Conducteurs) est celle d'une personne qu'on devine atteinte sans doute d'un handicap lourd ou d'une grave maladie, clouée à un lit d'hôpital, à qui on ne cesse d'administrer des médicaments. La conscience de ce narrateur se réduit à sa condition de captif coupable et immobilisé, cerné d'infirmières, visité par « l'Homme au stéthoscope ». Ainsi se passent les prémices de sa vie, derrière la vitre, contre un mur d'où sort un monstre qui le console, sans contact avec le monde extérieur. À 7 ans, on lui donne des crayons de couleurs. Alors de la fenêtre de sa chambre, il croque les passants qu'il observe, il les massacre sur le papier. Puis on lui fournit des jeux vidéo. Là encore, il dégomme tout ce qui bouge. Lui qui est dans l'incapacité de bouger. Lui ou elle d'ailleurs, on ignore tout de cette personne à part qu'elle est entravée : jambes inertes, pied bot, bras droit ankylosé. Ce récit est un puzzle électrique, chacun de ses morceaux vibre d'une intensité lyrique rétive à une saisie globale, regimbant devant toute interprétation univoque. Cette énergie courroucée est le fil rouge qui relie les séquences du corps du texte, métaphore du corps du narrateur à la fois oppressé et abandonné. Apportées par le ressac de la nerveuse scansion, des bribes de la biographie de cette voix élégiaque nous parviennent : le père est parti acheter des cigarettes pour ne jamais revenir, la mère a comme avorté a posteriori du fruit de ses entrailles et a pris, elle aussi, la poudre d'escampette... Adulte, le narrateur se retrouve à travailler pour un site de rencontres. Cette fois, c'est le travail qui opprime, le corps social qui brime.
Le corps est également le trait d'union entre cette fiction et le recueil de poèmes Lessive qui paraît concomitamment au Castor Astral. Comme à front renversé, ces tableaux successifs se déploient de manière curieusement plus linéaire. Reviennent certains motifs déclinés dans le récit en prose : la douloureuse venue au monde, la mère qui n'assume pas, le chien jaune, des murs oppressants et, ici, un oncle à « l'odeur de mort » toujours trop près du landau, invasive présence avant même la naissance... Et c'est encore cette douloureuse incarnation que chante le poète, tel un mal secret dès le début : « il y a quelqu'un à l'origine qui a payé, qui a perdu, et qui empeste, et je suis là. »
Lessive
Le Castor Astral
Tirage: 3 500 ex.
Prix: 15 € ; 144 p.
ISBN: 9791027808205
Le monstre mur
Les Corps Conducteurs
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 17 € ; 192 p.
ISBN: 9782488557009
