Marguerite Duras

Yann Andréa est mort

Yann Andréa et Marguerite Duras - Photo INA

Yann Andréa est mort

L'ultime amant de Marguerite Duras a été retrouvé sans vie dans son appartement parisien, après plus d'une décennie de silence médiatique.

Par Vincy Thomas,
avec afp Créé le 11.07.2014 à 17h26

Le corps sans vie de l'écrivain Yann Andréa, de son vrai nom Yann Lemée, dernier compagnon de Marguerite Duras qui vécut avec elle jusqu'à sa mort, a été retrouvé jeudi 10 juillet dans son appartement parisien, a-t-on appris de source policière.

Les raisons de son décès n'ont pas été précisées mais ne sont a priori pas suspectes. Yann Andréa, qui était âgé de 63 ans, a été retrouvé mort dans l'après-midi chez lui, dans le VIe arrondissement, a-t-on précisé de même source.

Homosexuel, il fut le dernier compagnon de Marguerite Duras, pendant une quinzaine d'années jusqu'au décès de celle-ci, en 1996. Lui était né fin 1952, elle en 1914. "L'homosexualité, c'est le dernier secret qui m'échappe" avait-elle dit. Cela n'a pas contrarié leur désir, jusqu'à celui d'écrire ensemble.

L'écrivain qui n'écrivait plus

Yann Andrea était lui-même l'auteur de plusieurs ouvrages: l'intimiste M.D. (Editions de Minuit, 1983, réédité en 2006), Cet amour-là (Ed. Pauvert, 1999), Ainsi (Pauvert, 2000) et Dieu commence chaque matin (Bayard, collection "Qui donc est Dieu?", 2001, épuisé).

Dans cet Cet amour-là, il avait raconté ses relations, plus que tourmentées, avec Marguerite Duras. Un livre qui donnait la troublante impression d'avoir été écrit par Duras elle-même. Ce qui lui fut reproché. "Je voudrais parler de ça: ces seize années entre l'été 80 et le 3 mars 1996 (ndr: date de sa mort). Ces années vécues avec elle. Je dis elle. J'ai toujours une difficulté à dire le mot", expliquait-il.

Etudiant en philosophie à Caen, il disait être tombé amoureux d'elle en lisant Les Petits Chevaux de Tarquinia et avoir décidé de ne plus lire que du Duras. Leur première rencontre, c'était en 1975, lors d'une projection à Caen d'India Song. Il lui avait adressé pendant cinq ans des lettres d'admiration, "des belles lettres" disait-elle. Puis un jour, en 1980, le jeune homme avait frappé au domicile de Trouville de l'écrivain. Ils ne devaient plus se quitter. Elle avait 66 ans à l'époque et lui 28. S'ensuivent des séparations et des retours, des absences et une fidélité inébranlable.


Il fut acteur pour elle dans deux films, Agatha et les lectures illimitées et L'homme atlantique. Il participa au scénario du film de Josée Dayan, adapté de Cet amour-là.

L'amour invivable

"C'était totalement passionant, mais épuisant. Ca ne s'arrêtait jamais", avait-il encore confié en 1999, dans l'émission Bouillon de Culture de Bernard Pivot, à propos de leur vie commune. Il était économe en mots, péréfrait les silences, regrettait, toujours, la fantaisie de Duras. Il était absent de la scène littéraire depuis plus de dix ans. 

Marguerite Duras l'avait consacré dans un roman amoureux, Yann Andréa Steiner (P.O.L., 1992), qui évoquait leur recontre en Normandie où elle se définissait comme vieille et seule tandis qu'il jeune et seul, "lui aussi". On retrouve également des dialogues entre les deux amoureux dans C'est tout (P.O.L., 1999). Pour elle, il est devenu Yann Andréa : "Le nom du père, elle le supprime. Elle garde le prénom, Yann. Et elle ajoute le prénom de ma mère : Andréa. Elle dit : avec ce nom, vous pouvez être tranquille, tout le monde va le retenir, on ne peut pas l'oublier." 

Marguerite Duras lui a dédié L'été 80 (Minuit, 1980), un recueil de chroniques, et Les Yeux bleus cheveux noirs (Minuit, 1986). Tout à la fois son secrétaire, son amour "invivable", parfois son souffre-douleur, il était resté avec elle jusqu'au bout.

L'exécuteur littéraire de Duras

Gentil, protecteur, patient, discret, Yann Andréa était aussi l'exécuteur littéraire de l'écrivain. C'est à ce titre qu'il s'était opposé en 1999 à Jean Mascolo, fils unique de Duras. Dans une tribune à Libération, ce dernier s'était élevé contre la décision de Yann Andréa d'interdire la publication d'un ouvrage, édité par Mascolo lui-même, Duras: la cuisine de Marguerite, rassemblant des recettes, des transcriptions d'entretiens.

"La mère de Jean Mascolo était un génie, mais pas lui. Elle aurait fait un vrai livre, pas cette chose sinistre", avait répliqué Yann Andréa. Jean Mascolo "ne veut pas admettre que sa mère a décidé de façon notoire que ce soit Yann Andréa et pas lui qui soit son héritier spirituel", soulignait à l'époque son avocat, Me Thierry Lévy.

Yann Andréa avait même été poursuivi en 2005 devant la justice par Jean Mascolo qui l'accusait notamment d'avoir adressé au notaire de la famille deux écrits signés par Marguerite Duras modifiant son testament et qui auraient été des faux. Mais il avait été relaxé.

En retrait ces derniers années, y compris lors du centenaire de Duras, célébré le 4 avril dernier, "Yann n'est guère intervenu dans le débat littéraire et ne s'est plus guère exprimé sur la relation qu'il a eue avec elle", notait à cette occasion Alain Vircondelet, biographe et ami intime de Duras, dans Le Point. Laure Dler a décrit longuement leur relation dans la biographie consacrée à l'écrivaine, Marguerite Duras (Flammarion, 2013).

Le jeune homme s'ennuyait avant d'être foudroyé par leur rencontre. Il ne savait plus quoi faire quand elle décéda. "C'est ce qu'elle m'a dit avant sa mort: Il ne vous reste plus que ça à faire, écrire sur moi " avait-il confié. Mais dans les faits, il avait retrouvé son ennemi l'ennui, il était fatigué de la vie, "défait".

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