Coréennes et cœurs perdus. C'est en emménageant enfin seul, à près de 30 ans, que l'auteur coréen Yeong-shin Ma s'est rendu compte, un peu honteux, qu'entretenir une maison était une lourde tâche. Et que sa mère y avait laissé une énergie incommensurable. Il lui a alors offert un luxueux carnet de notes, pour qu'elle y consigne les épisodes les plus marquants de sa vie. C'est de là qu'est né cet original et émouvant ouvrage sur une quinquagénaire bringuebalée par les hommes et les soucis d'argent.

Divorcée d'un mari joueur qui lui a laissé trois enfants et une montagne de dettes, So-yeon tente de joindre les deux bouts et fait le ménage dans une entreprise dirigée de façon autoritaire par un pervers maniaque. Seules bouffées d'oxygène, l'espoir de la création d'un syndicat, les sorties entre amies et les nuits avec son copain. Hélas, ce dernier est alcoolique et coureur de jupons. Mais So-yeon n'arrive pas à le quitter, et avale plus d'une couleuvre. « Je ne crois plus en Dieu ni au diable. Pourquoi je m'attacherais à ce type ? », ne cesse-t-elle de s'interroger. Bel homme et manipulateur, il la trompe, fait son mea culpa, mais ne promet rien. Et elle replonge. « Sans lui, je me sens nulle, et quand je le vois, je me fais chier », avoue So-yeon, désarmée.

Ainsi va la vie de cette femme perpétuellement angoissée par l'avenir de ses enfants et par le sien, elle qui ne possède rien à part son vieil appartement. C'est là que le portrait intime résonne en une fresque sociale sur la vie des femmes célibataires en Corée du Sud, perpétuelles victimes d'une société bien plus traditionaliste que la modernité clinquante du pays affichée sur la scène internationale ne le laisse croire. Un patriarcat qui ne dit pas son nom, où l'espoir résiderait dans un mariage avec un homme fortuné ou, à défaut, dans l'entretien par un gentleman prévenant. « Les femmes riches achètent les beaux gosses avec leur argent. Les femmes sans argent se font voler leur amour et se font plaquer », résume, amère, So-yeon. Les scènes, tantôt trash, tantôt touchantes, sont dessinées d'un trait raide et sans fioritures. Et l'on observe, avec une compassion teintée d'une envie de les pousser à prendre leur destin en main, ces dames rêvant de jours meilleurs et apaisés, en recherche perpétuelle d'un peu de tendresse et de soutien moral.