Entretien

Anne Martelle : « On ne peut pas livrer notre secteur économique aux seules lois débridées du marché »

Anne Martelle - Photo SLF

Anne Martelle : « On ne peut pas livrer notre secteur économique aux seules lois débridées du marché »

Avec un vote à l'unanimité au Sénat en juin puis à l'Assemblée nationale le 6 octobre, le combat de la réglementation des frais de livraison est gagnée. La présidente du Syndicat de la librairie française et propriétaire de la librairie familiale à Amiens enfourche un nouveau cheval de bataille : la rémunération des libraires.
 

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Par Cécile Charonnat,
Créé le 25.10.2021 à 11h09

Le SLF porte depuis longtemps plusieurs revendications contenues dans la proposition de loi portée par la sénatrice Darcos. Son adoption à l'Assemblée nationale vous satisfait-elle ?
Le SLF bataille sur ce sujet des frais de port depuis une quinzaine d’années… Nous avions lancé plusieurs contentieux contre le site aujourd’hui disparu d’Alapage et contre Amazon avant d’obtenir une première loi en 2014 que la multinationale américaine contournait en facturant les frais de port 1 centime d’euro. Il s’agit donc effectivement d’un aboutissement qui nous satisfait et qui consacre une action de longue haleine de la part du syndicat. Il faut saluer le travail acharné de Laure Darcos car, si nous avons abouti à un vote à l’unanimité, c’était très loin d’être gagné au départ. Par ailleurs, la nouvelle loi contient d’autres mesures bienvenues pour les libraires et le renforcement du prix unique du livre.
 
Les députés ont adopté le texte à l'unanimité avec peu d'amendements. Est-ce un signal fort envoyé au monde du livre ?
Il est réconfortant de constater que les enjeux liés au livre fédèrent les responsables publics, tous bords confondus. Une proposition de loi initiée par une Sénatrice issue du parti Les Républicains est votée, à l’Assemblée, par tous les groupes politiques jusqu’à La France insoumise ! Le livre occupe une place particulière dans notre pays, mais aussi l’idée, portée il y a quarante ans par Jérôme Lindon et Jack Lang, qu’on ne peut pas livrer notre secteur économique aux seules lois débridées du marché. Le président de la République, le ministre de l’Économie, la ministre de la Culture et les parlementaires ont tous été alignés sur ces convictions. Puisque la proposition de loi vise à « renforcer l’équité et la confiance entre les acteurs de l’économie du livre », tâchons aussi, entre professions du livre, d’être à la hauteur de cet appel en nous montrant plus solidaires et en le concrétisant en actes.
 
Concrètement, quelles vont être les répercussions pour les libraires ?
Nous allons maintenant négocier pour que le tarif minimal de frais de port soit accessible pour les libraires et leur restitue de la marge sur les expéditions de livres. Sans cela, la mesure n’atteindrait pas son objectif principal qui est de rendre enfin les libraires compétitifs sur la vente en ligne. La deuxième répercussion de la mesure, qui concernera l’ensemble des libraires, qu’ils pratiquent ou non la livraison, sera de ramener en librairie des clients qui, par facilité, commandaient des livres en ligne sans surcoût de port alors qu’ils habitent à proximité des librairies. Plus globalement, la mesure devrait accroître le nombre de libraires disposant d’un site de vente sur internet et développer les investissements de ceux qui en disposent déjà.
 
Hormis les frais de port, le texte autorise désormais les communes et intercommunalités à subventionner les librairies. En quoi est-ce important ?
Au SLF, nous sommes régulièrement contactés par des communes qui veulent savoir comment elles peuvent soutenir le maintien ou l’implantation d’une librairie sur leur territoire. Jusqu’à présent, ces collectivités étaient mal outillées juridiquement pour intervenir. Ce sera dorénavant beaucoup plus simple avec cette mesure qui s’inspire de celles en vigueur depuis les années 1990 pour les salles de cinéma. La majorité des élus sont conscients de l’atout culturel, social et économique que représentent une ou plusieurs librairies dans une ville. Un centre-ville ou un bourg sans librairie, quelle tristesse !
 
Quels sont vos prochains chantiers ?
Ils sont nombreux mais je voudrais en citer un en particulier, celui de notre rentabilité. Pourquoi est-ce essentiel ? Parce que les atouts singuliers que tant de gens reconnaissent aujourd’hui dans les librairies, la capacité à composer un assortiment, l’accueil, le conseil par l’échange mais aussi par nos tables, nos vitrines, nos coups de cœur, ou encore nos animations…, tout cela repose sur des compétences et donc sur des femmes et des hommes qui sont, chez nous, plus nombreux et plus qualifiés que dans les autres circuits de vente. Mais nos salariés sont payés en moyenne entre 1600 et 1800 euros brut par mois, soit à peine plus que le SMIC. La plupart d’entre nous n’avons malheureusement pas les moyens de les rémunérer davantage. Si nous réduisons le nombre de nos salariés, nous ne pourrons plus assurer un travail de qualité. Si nous n’avons pas les moyens d’augmenter durablement les salaires, beaucoup de libraires vont nous quitter, nous allons perdre en compétence. Finalement, tout le monde en pâtira, les lecteurs, mais également les auteurs et les éditeurs. Il faut redonner des moyens aux libraires pour qu’ils les répercutent sur les rémunérations de leurs équipes. Dans le cadre d’un tel plan, nous sommes prêts à en prendre l’engagement à travers une revalorisation de la grille des salaires de notre branche professionnelle.

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