Entretien

"Autrices oubliées" de la BnF : "il faut des sources pour refaire les notices, c’est un immense chantier"

Pauline Le Goff-Janton, lors de la 3ème conférence "Autrices oubliées de l'histoire littéraire" - Photo Bibliothèque nationale de France

"Autrices oubliées" de la BnF : "il faut des sources pour refaire les notices, c’est un immense chantier"

La Bibliothèque nationale de France organise un cycle de conférence sur les "autrices oubliées" jusqu'au 14 avril. Le projet voit le jour en 2018, lorsque une lectrice de la bibliothèque signale une erreur dans la notice de l'écrivaine Catherine Bernard. Livres Hebdo revient sur le travail de réhabilitation effectué avec l'organisatrice du cycle, Pauline Le Goff-Janton.

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Par Dahlia Girgis
Créé le 23.03.2021 à 12h34

La Bibliothèque nationale de France (BnF) organise un cycle de conférence sur les "autrices oubliées" du 27 janvier au 14 avril. Les textes de quatre autrices, Catherine Bernard (1663 – 1712), Marie-Anne Barbier (1664 – 1745), Marceline Desbordes-Valmore (1786 – 1859) et He?le?ne Bessette (1918 – 2000), sont ainsi revalorisés et étudiés. Livres Hebdo a discuté de cette initiative avec Pauline Le Goff-Janton, du département Littérature et art, accompagné de Muriel Couton, cheffe du service des manifestations.

Pourquoi avoir lancé un cycle de conférence sur des autrices oubliées ? 
Pauline Le Goff-Janton : L’origine de ce cycle remonte à deux ans quand une lectrice de la bibliothèque de recherche de la BnF nous a demandé de corriger la notice de Catherine Bernard. Elle avait vu dans un article de Titiou Lecoq sur Slate que la notice comportait une erreur. Il était noté que Catherine Bernard était la nièce de Corneille. Au sein de notre service, nous nous sommes posés beaucoup de questions. Les notices du catalogue de la BnF font autorité normalement.

Comment se sont constituées ces notices ? 
Pauline Le Goff-Janton : Pour la littérature moderne, le service chargé des catalogues reprend la page de titre avec le nom de l’ouvrage, de l’auteur et l’éditeur. Cela est plus compliqué pour les ouvrages sous l’Ancien Régime. La page de titre n’est pas celle que nous connaissons aujourd’hui. L’imprimerie à l’époque est encore assez artisanale et il y avait beaucoup de contrefaçons. Les catalogues de la BnF s’appuient alors sur des sources scientifiques de la recherche. Nous arrivons en bout de la chaîne du livre. Le cas de Catherine Bernard est très parlant. C’est un intellectuel de la fin du XIXème siècle, Eugène Asse, qui a écrit dans un article que l’auteure était la nièce de Corneille. Au milieu du XXe siècle, un chercheur, Alexandre Cioranescu, a attribué une partie de ses oeuvres à Fontenelle et Pradon dans une bibliographique de référence. C’est sur ces documents, qui ont une autorité établis, que nos collègues s’appuient. 

Quel est le travail entrepris par la BnF pour rétablir la mémoire de ces autrices oubliées ? 
Pauline Le Goff-Janton : Nous sommes dans un moment particulier. Longtemps, il n’y a pas eu d’étude critique et de recherche sur ces auteures. Maintenant, nous pouvons nous appuyer sur des ouvrages comme Femmes et littérature. Une Histoire culturelle de Martine Reid (Gallimard). Nous avons besoin que les chercheurs travaillent pour les accompagner. Il nous faut des sources pour refaire les notices, c’est un immense chantier.

Muriel Couton : C’est important pour la BnF d’avoir une représentation équilibrée. Nous sommes plus vigilants là-dessus. Il faut acquérir le réflexe et tenir compte des différentes voix, tant pour les femmes que pour les hommes. Le mouvement dans la recherche a été déterminant pour nous. Ce n’est pas juste un phénomène de mode.

Comment s’est fait le choix des trois autres auteures dans ce cycle de conférences ? 
Pauline Le Goff-Janton : Pour sélectionner les trois autres auteures, nous avons établi une liste de critères. Le premier est que les auteures devaient faire partie de la collection de la BnF. La seconde concerne les différentes "causes d’effacement" des auteures. Le troisième est celui de la polygraphie. Toutes les écrivaines ont écrit dans des genres littéraires différents. C’était pour elles une activité quasi professionnelle. Cela permet d’illustrer la technicité des auteures. Par exemple, au 17ème siècle, la tragédie était considérée comme un genre très technique. Notre dernier critère est la nécessité d’avoir des rééditions et une production critique de leurs textes. Le risque était que cette auteure soit oubliée car son œuvre n’a aucun intérêt. Nous voulions éviter cela.

Comment ces auteures se sont retrouvées dans des “mécanismes d’effacement” ? 
Pauline Le Goff-Janton : Les mécanismes d’effacements sont très différents d’une auteure à une autre. Pour Catherine Bernard et Marie-Anne Barbier, c’étaient des auteures très connues à l’époque. Elles sont tombées dans l’oubli à posteriori. Pour Marceline Desbordes-Valmore, c’est très différent car elle n’a pas été complètement oubliée. Certaines personnes ou générations la connaissent bien pour avoir étudié ces poèmes dans les années 60-70. Mais elle a été enlevée des programmes scolaires, étant cantonnée à des thématiques très féminines comme la maternité. Dans le cas de Hélène Bessette, c’est encore différent. Elle a connu une célébrité fugace, en étant publiée chez Gallimard ou soutenue par Marguerite Duras. Mais ces romans n’ont pas rencontré de succès économiquement. Elle a probablement souffert du fait d’avoir écrit des romans innovants et en avance sur son temps. Il n’y a pas une seule cause d’effacement, mais ces auteures sont emblématiques de certaines mécaniques à un moment donné. 

Il y a déjà eu 3 conférences, quelle était votre cible et quels retours avez-vous eu ?
Pauline Le Goff-Janton : Nous avons intéressé le public habituel de la BnF, mais également le grand public, "les amateurs éclairés". Nous avons dépassé le cadre académique. La moitié de la conférence est dédiée à la lecture de l'œuvre de l’auteure, tandis que l’autre explique le contexte. 

Muriel Couton : Avant la pandémie nos conférences étaient en présentiel. Nous publiions quelques semaines après les vidéos en ligne. Depuis la pandémie, nos conférences sont en streaming. Nous avons plus de monde qui reste sur la durée, et un public qui va au delà de Paris et de l’Ile-de-France. 

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