Lost in transition. Garçon ou fille, c'est dans la tête. Pour Alex, le personnage principal de Transatlantique de Camille Corcéjoli, d'aussi loin qu'il se souvienne, c'est garçon ! Même si enfant il doit subir l'assignation sexuelle que la société lui impose en raison de son sexe biologique. Se pointe alors la puberté, tout comme ces seins qui l'embarrassent. Dans ce road novel truculent et tendre à la fois, le narrateur embarque Louise, Djo et Harli, « ami.e.s de toujours » - écriture inclusive oblige, n'en déplaise à l'Académie française - de l'autre côté de l'Atlantique, dans un périple jusqu'au bout de sa transition. Alex se rend chez l'oncle Sam pour se faire enlever ses superfétatoires appas.

Pour le primo-romancier queer, la linéarité est au roman ce que la binarité est à la sexualité. Et de ne pas céder aux sirènes normatives des constructions narratives ou genrées bien nettes. Camille Corcéjoli mêle à la relation du voyage en Amérique le récit de l'autre traversée, que constitue sa transition. Par le truchement de son narrateur, il laisse entrer le doute des questionnements sur la mastectomie transgenre (se faire opérer, est-ce contribuer au business de la chirurgie esthétique ?), le souvenir douloureux des regards d'enfants perplexes ou de beaufs transphobes verbalement voire physiquement agressifs. Alex se rappelle encore la honte face aux questions du corps médical. Le médecin censé lui prescrire de la testostérone lui avait demandé avec condescendance si, lui, ce patient aux cils très noirs, portait du mascara.

Rien de pleurnichard ni vindicatif chez Camille Corcéjoli. Transatlantique a l'énergie picaresque de l'amitié que soudent les aventures et que raffermit l'exclusion par les autres. On suit le joyeux quatuor non-binaire outre- Atlantique : New York et ses historiques quartiers gays où Alex, Louise, Djo et Harli font la fête ; Brooklyn, la plage où Alex, désinhibé, ôte son binder (l'anti-soutien-gorge destiné à compresser une poitrine encombrante) ; puis Charlottesville (Virginie) où habite « la tante gouine » de Djo ; enfin, le bloc opératoire au Texas. On pénètre dans la tête mais surtout le cœur, l'âme, d'un être qui rêve, en poète, d'un autre monde, plutôt d'une utopie concrète, où un vrai espace libre est possible : « La distance a creusé son sillon / Sur mon torse / Un voyage fissure / Je ne rentre pas / La ligne d'horizon est courbe / Comme / mes cicatrices / mes mots / mes envies. »