5 JANVIER - ROMAN France

Franck Pavloff- Photo PHILIPPE MATSAS/ALBIN MICHEL

C'est quelque part bien au-delà du cercle polaire arctique, dans ce monde à la fois désolé et mis en coupe réglée que, faute de mieux, on appelle communément Laponie, peut-être en Severnaïa Zemlia (Terre du Nord), que Franck Pavloff a choisi de situer son nouveau roman. L'auteur de Matin brun, best-seller mondial paru au Cheyne en 1999, et de nombreux romans noirs s'est fait une spécialité dans l'exploration de ces "ailleurs" qui le fascinent, en général pour leur rigueur et les conditions inhumaines de la vie que des hommes y mènent, envers et contre tout. Une oeuvre où L'homme à la carrure d'ours prend tout son sens.

Une île jamais nommée est victime d'une double catastrophe. Les Autorités ont décidé de fermer, pour cause de dangerosité, la mine de Voulkor et de raser la ville alentour. Alors qu'une mystérieuse épidémie s'est déclarée, la population demeurée sur place se voit recluse dans La Zone, avec défense absolue de gagner le continent et la lointaine Mourmansk. Avec ses lumières qui scintillent, le port sibérien prendrait presque des allures de paradis tropical aux yeux des malheureux Lapons spoliés de leurs terres par le pouvoir et des ouvriers jetés sur le pavé. Lesquels passent leur temps au Comptoir à se déchirer la tête au kvas, l'eau-de-feu locale. Les femmes, elles, essaient de trouver consolation dans la piété officielle, l'orthodoxie, à laquelle se mêlent toutefois un certain nombre de rites païens ancestraux. Ainsi, un Lapon qui meurt, pour peu qu'il soit important, a droit à un enterrement digne d'un chef viking.

Le héros de Pavloff, c'est Kolya, une espèce de force de la nature, le seul à rester intègre et pur dans un monde de plus en plus dégénéré. Cet homme qui sculpte des idoles dans des défenses de mammouths retrouvées sous la glace, puis les restitue à la terre, cultive son jardin, préserve l'esprit de ses ancêtres, essaie de sauver ce qui peut l'être, ne laisse pas insensible la jeune Lyouba. Mais, seuls contre tous, ils devront faire face à l'hostilité alcoolisée des autres, qui peut conduire à la violence aveugle, au meurtre...

Plus que l'histoire, ce qui impressionne, à la lecture de ce roman halluciné, c'est son atmosphère : polaire, oppressante, surnaturelle. Même si ça ne s'est pas passé au même endroit, on pense aux goulags, à Tchernobyl, au naufrage du sous-marin nucléaire Koursk... La nature pavloffienne est inhospitalière, mais aussi magnétique, ensorcelante, décrite avec une sorte de lyrisme barbare. Le livre a parfois des allures d'anticipation, mais le contexte politico-social qu'il dépeint est hélas bien réel, dans une Russie profonde qui n'est pas parvenue à remplacer les anciennes structures de l'appareil de l'Etat soviétique, auxquelles elle a substitué la corruption la plus cynique, encore plus violente que le libéralisme occidental. Kolya et Lyouba, eux, sont des résistants, et la jeune femme portera au final, dans ses entrailles, l'espoir d'un avenir meilleur.

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