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Dossier Jeunesse : vivement Noël

OLIVIER DION

Dossier Jeunesse : vivement Noël

Jusqu'ici épargnés par la crise, les éditeurs pour la jeunesse subissent un recul des ventes du fonds et une hausse des retours qui traduisent des difficultés nouvelles en librairie. Néanmoins optimistes à la veille du Salon de Montreuil, du 30 novembre au 5 décembre, ils comptent sur les fêtes de Noël pour rattraper l'année, et se lancent avec enthousiasme dans la création numérique.

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Par Claude Combet
Créé le 19.03.2015 à 18h05 ,
Mis à jour le 27.03.2015 à 11h28

Dans un marché du livre en baisse, avec des résultats irréguliers, même s'ils restent somme toute assez stables, les éditeurs pour la jeunesse ne savent plus trop sur quel pied danser. "Cela a été dur jusqu'en mars-avril, mais l'activité a redémarré en mai-juin", constate Marion Jablonski, la directrice d'Albin Michel Jeunesse, dont l'objectif est de "faire en 2011 une aussi bonne année qu'en 2010, qui a été un très bon cru grâce à Percy Jackson". De son côté, Sarah Koegler-Jacquet, directrice du département Gautier-Languereau-Deux coqs d'or, "croise les doigts pour que les ventes de Noël démarrent. Le cadeau pour les enfants est la dernière chose sur laquelle on rogne, même si on a un problème de budget", rappelle-t-elle, regrettant toutefois que "les gens s'y prennent de plus en plus tard". "Comme l'an dernier, les achats de Noël devraient commencer la seconde quinzaine de novembre", estime Alexandra Bentz, responsable de Gründ Jeunesse-Les Livres du dragon d'or.

"La jeunesse suit désormais les tendances de la littérature générale. Le marché reste en progression mais il est investi par un plus grand nombre d'acteurs." HEDWIGE PASQUET, GALLIMARD JEUNESSE- Photo OLIVIER DION

Globalement inquiets, les éditeurs ont chacun une formule pour se rassurer. "Stable en volume, mais, à - 3 % en valeur, septembre n'a pas été bon, et la jeunesse ne fait pas exception, reconnaît Sarah Koegler-Jacquet. Mais le cumul à fin septembre reste positif, à + 3 % en volume et + 2 % en valeur." "Nous sommes à + 2,5 % en année mobile et à + 5 % de janvier à août 2011 grâce à la célébration des 80 ans du Père Castor", se félicite de son côté Hélène Wadowski, directrice de Flammarion Jeunesse-Père Castor. "Le marché est stable, mais certains segments, comme la fiction, se portent mieux que d'autres", observe Marianne Durand, directrice de Nathan Jeunesse, qui entend redéployer l'offre en romans, avec une quinzaine de grands formats et des nouvelles séries en 2012 parce qu'elle sent que "le marché répond et se montre plus dynamique qu'en documentaire".

"C'est une prime à l'émerveillement. Les lecteurs demandent à être surpris par des ouvrages originaux." SARAH KOEGLER-JACQUET, GAUTIER-LANGUEREAU-DEUX COQS D'OR- Photo OLIVIER DION

Les éditeurs pour la jeunesse, qui avaient jusque-là été épargnés par la crise, enregistrent dorénavant un taux de retour en augmentation. « On sent le marché conservateur, il se replie sur des valeurs sûres aux dépens de titres plus ambitieux qu'il faudrait soutenir. Sans parler du numérique qui déstabilise tout le monde », commente Franck Girard, directeur général de Bayard éditions et Milan.

"La jeunesse suit désormais les tendances de la littérature générale, constate la présidente de Gallimard Jeunesse, Hedwige Pasquet. Le marché reste en progression, mais il est investi par un plus grand nombre d'acteurs. Nous sommes bien sûr tributaires du climat général, mais je reste confiante dans nos programmes et dans le dynamisme du livre de jeunesse", assure l'éditrice, qui a fait du travail du fonds un de ses objectifs pour 2012, avec une production réduite à 450 nouveautés et la célébration des 40 ans de Gallimard Jeunesse.

"Il faut avoir confiance dans l'identité de chaque maison et la renforcer tout en étant à l'écoute des marchés dynamiques." BÉATRICE DECROIX, LA MARTINIÈRE- Photo OLIVIER DION

"Nous avons beaucoup de mal à atteindre les objectifs de mise en place, mais cela n'empêche pas le marché d'être dynamique et d'enregistrer une progression de 3 %", estime de son côté Béatrice Decroix, directrice du pôle La Martinière Jeunesse-Seuil Jeunesse, qui note cependant aussi que le fonds reste "en berne par rapport aux nouveautés".

L'ORIGINALITÉ PAIE

"Les libraires sont inquiets, et je suis revenu très impressionné par les rencontres de Lyon, commente Jean Delas, le directeur général de L'Ecole des loisirs. Malheureusement, il est encore trop tôt pour mesurer les effets de l'augmentation à 37 % depuis juillet de notre remise de base." Pour préserver les ventes de son fonds, qui représentent les deux tiers de son chiffre d'affaires (il réimprime 750 à 1 000 titres chaque année), Jean Delas aide à l'installation de "corners" Ecole des loisirs dans les librairies (1), inaugurant le vingtième ce mois-ci chez Torcatis, à Perpignan. Toujours pour soutenir la librairie indépendante, la maison enverra en décembre 800 000 dépliants qui recensent 400 librairies partenaires, choisies "selon des critères qualitatifs objectifs".

"La tendance est aux collections « capsules », comme dans la mode, limitées à 5 ou 6 titres." NATHALIE MAITENAZ, BELIN JEUNESSE- Photo OLIVIER DION

Pour Marion Jablonski, face à la crise et à la concurrence, l'originalité paie : "Nous avons un programme de livres illustrés assez chers avec des choix graphiques culottés que nous équilibrons avec des albums classiques", détaille-t-elle. "C'est une prime à l'émerveillement. Les lecteurs demandent à être surpris par des ouvrages originaux", souligne également Sarah Koegler-Jacquet chez Gauthier-Languereau-Deux coqs d'or, qui annonce une rupture de l'album Plein soleil, d'Antoine Guillopé, pourtant tiré à 15 000 exemplaires, et mise en novembre sur Le petit théâtre de Rébecca, de Rébecca >Dautremer, 120 pages "totalement délirantes". Elle note aussi le succès du Pyjamarama, au Rouergue. "Il faut avoir confiance dans l'identité de chaque maison et la renforcer tout en étant à l'écoute des marchés dynamiques", confirme Béatrice Decroix, à La Martinière.

"Nous avons besoin des libraires pour vendre du numérique. Ils sont prescripteurs de nos ouvrages" HILAIRE DE LAAGE, FLEURUS ÉDITIONS- Photo OLIVIER DION

Mais le secteur continue d'attirer les éditeurs, notamment en fiction pour adolescents et jeunes adultes. Après "Territoires" au Fleuve noir, "Snoopbook" chez Soleil et "Galapagos" à L'Archipel, certaines maisons, comme Didier Jeunesse, Don Quichotte, Rue du monde, ont fait une incursion dans le roman. Et 2012 devrait voir arriver "R" chez Robert Laffont (2). "Le lectorat ne s'est pas amoindri et ne lit pas moins. Il est toujours présent, curieux, et répond très bien à nos propositions. Ce qui a changé en fiction, c'est l'univers concurrentiel, pointe Marion Jabonski, chez Albin Michel. Nous devons rester vigilants et défendre ce que nous sommes. "Wiz" a une image forte grâce à la qualité des textes et aux choix de Shaïne Cassim. L'édition se fait à travers des personnes, des décisions, des sensibilités."

"On n'est pas des Américains. Rien n'indique que le numérique aura en France la place qu'il occupe aux Etats-Unis." JEAN DELAS, L'ÉCOLE DES LOISIRS- Photo OLIVIER DION

Entre les pages, si les vampires ont encore le vent en poupe, la dystopie triomphe... en attendant de nouvelles modes. Le polar opère un retour avec de nouveaux auteurs, parfois venus de la littérature adulte, comme ceux recrutés par Guillaume Lebeau pour "Rageot Thriller" (premiers titres en mars) ou Martial Caroff, qui signe chez "Galapagos" une trilogie très noire, "dure", qui devrait faire parler d'elle (Karl, mars). L'effort éditorial porte toutefois sur la fiction pour les plus jeunes. Albin Michel Jeunesse lance "Witty" pour les 8-10 ans (mars). Nathan annonce une série de Susie Morgenstern dans la collection "Premiers romans". Pocket Jeunesse lancera Grégor (mars), une série à partir de 10 ans de Suzanne Collins (l'auteure de Hunger Games), et Clockwork Angel, une autre série de Cassandra Clare (novembre).

Hachette Jeunesse mise sur Witch & wizard, de James Patterson, et Les effacés, de Bertrand Puard. Mais la directrice d'Hachette Jeunesse Roman et du Livre de poche jeunesse, Cécile Térouanne, entend bien développer son catalogue tous azimuts, "pour tous les âges et sur tous les thèmes" : ouvrir "Black moon" aux auteurs français, redéployer la littérature pour les filles avec "Bloom" (nouveau nom de "Planète Filles"), lancer une série animalière pour les plus jeunes et un one-shot au titre séduisant (La probabilité statistique de l'amour au premier regard)... Elle s'appuie sur la notoriété de ses auteurs, qu'ils soient adultes ou déjà connus des adolescents, comme James Patterson, Michelle Paver ou Suzanne Collins. Dans le même esprit de réassurance, Pocket Jeunesse annonce un nouveau Zafon (Marina, janvier) et un Harlan Coben (Shelter, septembre) pour les ados. Actes Sud Junior annonce Super Charlie, une série de l'auteure suédoise de thrillers best-sellers, Camilla Läckberg (mars). Et Rouergue Jeunesse retrouve Olivier Douzou et ses auteurs (José Parrondo, Natali Fortier...).

COLLECTIONS "CAPSULES"

Gallimard Jeunesse, qui fêtera parallèlement la cinquantième de ses Drôles de petites bêtes avec une nouvelle série, publiera une collection de 10 documentaires, "Discovery education" pour les 6-9 ans... "La tendance est aux collections "capsules", comme dans la mode, limitée à 5 ou 6 titres. Les goûts changent tellement vite, les innovations aussi, qu'il est plus cohérent de travailler sur un petit nombre de titres", confirme Nathalie Maitenaz, qui vient de reprendre Belin Jeunesse. Elle ciblera les 8-10 ans avec "Les savoirs junior", en diversifiant tranches d'âge et approches, s'appuyant sur le savoir-faire et les auteurs Belin.

Béatrice Decroix prévoit plusieurs documentaires photo pour les plus petits (3-6 ans) à La Martinière Jeunesse et développera la petite enfance au Seuil Jeunesse, notamment une nouvelle collection avec Marc Boutavant. Les quatre marques du pôle jeunesse d'Actes Sud réinvestissent la petite enfance, et les éditions Thierry Magnier relancent "Tête de lard" avec Antonin Louchard. Tandis que Fleurus développe des gammes autour de ses titres phares, qui sont autant de marques : Le dico des filles se décline désormais par âges et par thèmes (Le dico des filles pour 12 ans et plus, Mon dico chéri pour les 8-12 ans, Le dico des super copines ! pour les 4-8 ans) et par genres (Le roman des filles, Mon roman chéri).

Dans cette période d'incertitude, les éditeurs comptent aussi sur la célébration de leur anniversaire pour dynamiser leur présence en librairie. Nous fêterons cette année les 15 ans de Rue du monde, les 20 ans du Seuil Jeunesse, les 40 ans de Gallimard Jeunesse, les 25 ans du héros Charlie chez Gründ. Ils guettent aussi les adaptations au cinéma (Rebelle pour Hachette Jeunesse Disney, Le cheval de guerre, de Michael Morpurgo, pour Gallimard Jeunesse, Hunger Games pour Pocket Jeunesse, Pirates pour Les Livres du dragon d'or, Zafira et Stars Wars en 3D pour Nathan) pour stimuler le marché et les licences. Mouk (Albin Michel Jeunesse), de Marc Boutavant, fera l'objet d'une série télévisée. Bayblade donnera lieu à des novellisations aux Livres du dragon d'or.

Mais, pour les éditeurs de jeunesse, 2012 sera aussi une année numérique. Jusque-là très prudents, ils s'y sont lancés avec beaucoup d'enthousiasme et de créativité. Hachette Jeunesse, qui aura 500 titres numérisés d'ici à la fin de l'année ; Fleurus (500 titres disponibles, dont des recueils d'histoires, des imagiers au format ePub et une version enrichie de La guerre des boutons) ; Gallimard Jeunesse (60 titres disponibles) comme Pocket Jeunesse annonçent la publication simultanée des versions papier et numérique de leurs nouveautés en fiction. La toute nouvelle collection "R", chez Laffont, accompagne le titre Starters de pages inédites gratuites en téléchargement sur le Net.

L'arrivée de l'iPad en 2010, en couleurs et aux possibilités techniques étendues, a déchaîné l'imagination. Bayard, Fleurus Enfants, Gründ, Nathan, Usborne, les toutes nouvelles @-Toiles éditions, fondées par Claire Gervaise et Véronique Kleck, sont déjà sur le marché. Gallimard Jeunesse a développé des "Contes illustrés" avec le britannique Noisy Crow et l'allemand Carlsen, et lancé deux "Premières découvertes", qu'elle poursuit l'an prochain. Gautier-Languereau, L'Ecole des loisirs (avec Le livre des bruits) préparent leurs applications.

"Le développement d'une application coûte de 2 000 à 5 000 euros, mais peut monter jusqu'à 20 000 euros pour une application élaborée proche du jeu vidéo. Les prix de vente étant peu élevés, le point mort se situe sur un long terme. On a cependant constaté que les acheteurs d'une histoire à 0,99 euro, une fois convaincus, achetaient le recueil de 9 histoires à 3,99 euros, contre 7,90 pour la version papier", décrit Anne de Lilliac, responsable du numérique pour tout le groupe Fleurus Jeunesse. Pour elle, "tout le catalogue a vocation à passer en livres numériques, mais pas forcément en applications. Le texte, les illustrations, la mise en page sont notre métier. Les applications dépendent davantage du fabricant, comme les jeux vidéo, et ce n'est pas notre coeur de métier". Elle insiste cependant sur les possibilités du médium : l'introduction du son pour les petits ou de la vidéo pour illustrer le propos, "comme dans la version numérique de Trichez aux cartes ! ». Elle réfléchit aussi avec Dilicom à des offres couplées papier et numérique. "Nous avons besoin des libraires pour vendre du numérique. Ils sont prescripteurs de nos ouvrages", précise Hilaire de Laage, directeur général de Fleurus éditions.

ANNÉE DE TRANSITION

Application pour iPad et iPhone ou livre numérique enrichi ? Le débat fait rage. Chez Albin Michel Jeunesse, Marion Jablonski préfère l'ebook enrichi. La version papier de L'herbier des fées, de Benjamin Lacombe, est parue le 26 octobre, et la version numérique, conçue par l'auteur lui-même et coproduite avec Prima Linea (voir page 75), l'a accompagnée mi-novembre (disponible sur l'iBookstore). En début d'année, elle poursuivra dans cette voie avec 60 titres de Geronimo Stilton, suivis des Fantômes et de Camille la girafe de Jacques Duquennoy. "Benjamin Lacombe a abordé le numérique en tant qu'auteur : ce qu'il lui a inspiré, ce qu'il pouvait apporter à sa création, en quoi il pouvait l'enrichir. Jacques Duquennoy avait fait des cédéroms formidables avec Les fantômes. Il analyse très bien ce qui est important et ce qu'on doit animer, ce qui amène une valeur ajoutée à l'histoire et ce qui est inutile, commente Marion Jablonski. Il est intéressant de travailler avec les auteurs sur la narration et de ne pas se laisser abuser par les possibilités du numérique mais de les utiliser en leur donnant du sens. Comme pour le pop-up, il faut savoir utiliser des éléments spectaculaires et inattendus pour soutenir l'histoire."

"C'est encore une année de transition, note pour sa part Hedwige Pasquet, chez Gallimard Jeunesse, qui lancera en mars ses premiers livres numériques enrichis. On ne sait pas quel format va prévaloir, si tous vont perdurer ou si on va vers une convergence des formats. Mais le numérique n'a de sens que s'il s'appuie sur le livre jeunesse, c'est un développement comme peut l'être l'adaptation au cinéma.""Pour le moment, les apps pour Apple et pour Android nécessitent deux développements différents, ce qui entraîne un surcoût de production, confirme Marianne Durand, chez Nathan. On ne maîtrise pas non plus toute la chaîne, contrairement au livre, notamment la validation par Apple et l'organisation de l'App Store. C'est aussi problématique sur l'Android Market."

Ces difficultés n'arrêtent pas les éditeurs, qui expérimentent tout en ce moment. Nathan, qui a été le premier à utiliser des flashcodes renvoyant à des vidéos de l'auteur, réfléchit à de nouveaux services pour les lecteurs et les parents. Belin lance Ces animaux mal-aimés, dont les flashcodes donnent accès aux photos de l'exposition de leur partenaire, le Festival international de la photo animalière de Montier-en-Der. Milan se prépare à publier son Atlas, sur lequel on promène l'iPhone, qui permet d'apporter des compléments (documentaires, photos et vidéos) sur la faune et la flore. Nathan, qui poursuit aussi son expérience autour de la réalité augmentée (un gros Dokéo, comment ça marche le monde où je vis et deux petits L'univers et La Terre sortiront en 2012), se lance, en coproduction avec SFR, dans... la télévision. Cette application passe par la box de SFR et est pilotée par la télécommande : elle propose un quiz, un "English Show" pour apprendre l'anglais, des histoires ainsi qu'un documentaire sur la planète et le développement durable.

"On n'est pas des Américains, tempère cependant le directeur de L'Ecole des loisirs, Jean Delas. En France, les livres audio n'ont pas le succès qu'ils ont aux Etats-Unis. Rien n'indique que le numérique aura en France la place qu'il occupe aux Etats-Unis. Si on veut mettre les romans en téléchargement, on peut le faire très vite, mais je n'en vois pas l'urgence parce que les liseuses ne sont pas prêtes. Globalement, le livre numérique en fiction pourra augmenter les ventes, mais ça ne se fera pas au détriment du papier. Les choses changeront véritablement quand les cartables électroniques seront mis en place dans les écoles : on verra alors émerger une nouvelle génération qui aura appris avec ça", prédit-il.

(1) Voir LH 757, du 5.12.2008, p. 58.

(2) Voir LH 885 du 11.11.2011, p. 43.

La jeunesse en chiffres

UNE NOUVELLE GÉNÉRATION D'ÉDITEURS

Olivier Douzou, fondateur du Rouergue Jeunesse, revient cette année au bercail pour s'occuper du secteur albums.- Photo DR

L'édition pour la jeunesse a pris... un coup de jeune en 2011. A la suite d'un certain nombre de départs, nominations et réorganisations se sont multipliées. Directrice d'Hachette Illustré, Isabelle Magnac a restructuré le département Hachette Jeunesse en quatre pôles : Gautier-Languereau-Deux coqs d'or, dirigé par Sarah Koegler-Jacquet ; Black moon-Le Livre de poche Jeunesse, dirigé par Cécile Térouanne ; Hachette Jeunesse-Disney, dirigé par Maria Dorriots ; Licences et "Bibliothèque rose"/"Bibliothèque verte", dirigé par Myriam Héricier, Frédérique de Buron et Charlotte Ruffault ayant "quitté leurs fonctions opérationnelles" (1). Le départ en retraite de Françoise Matheu a conduit Béatrice Decroix à réaménager le pôle La Martinière Jeunesse-Seuil Jeunesse avec Magali Fourmaintraux pour le catalogue Seuil Jeunesse illustré et July Zaglia pour l'éveil documentaire de La Martinière Jeunesse.

Par ailleurs, Marianne Durand a succédé à Dominique Korach à la direction de Nathan Jeunesse, et Nathalie Maitenaz à Madeleine Thoby à la tête de Belin Jeunesse. C'est aussi cette année que le pôle jeunesse d'Actes Sud, dirigé par Thierry Magnier, s'est enrichi d'une quatrième maison, Hélium, fondée par Sophie Giraud, aux côtés des éditions Thierry Magnier, Actes Sud Junior et Rouergue Jeunesse. Cette dernière enregistre le retour d'Olivier Douzou, son fondateur, pour le secteur albums, la fiction étant dirigée par Sylvie Gracia.

(1) Voir LH 879, du 30.9.2011, p. 22.

Benjamin Lacombe, auteur numérique

Photo OLIVIER DION

Heureusement que ma première formation était l'animation", s'amuse Benjamin Lacombe. Pour L'herbier des fées, dans lequel Sébastien Perez raconte le voyage en forêt de Brocéliande d'un botaniste russe qui, en quête de plantes médicinales pour fabriquer un élixir d'immortalité à la demande de Raspoutine, tombe sur d'étranges créatures, l'illustrateur n'a pas voulu faire un "livre numérique à tout prix, mais bien parce que le sujet s'y prêtait". Coproduit par Albin Michel Jeunesse et Prima Linea, le livre numérique enrichi est disponible sur l'iBookstore au prix de 14,99 euros (contre 28 euros pour la version papier).

S'il a retrouvé dans le travail une dimension artisanale - chacun des sept petits films avec des effets de tremblés et de pellicule abîmée a nécessité 200 dessins à la main -, Benjamin Lacombe a trouvé le projet très "chronophage", réclamant plus de six mois de travail intensif. Sons, vidéos, animations (les "dissections" de fées, le "flip book" du langage des fées)... le dessinateur devenu auteur numérique a joué des moyens techniques mais s'est trouvé limité, notamment par le format ePub. "Nous avons testé une version du logiciel qui n'a que quatre mois d'existence, souligne-t-il. Je voulais que le flou fasse apparaître les personnages très lentement, mais on a dû tâtonner avant de mesurer ce qui était réalisable, en découvrant les possibilités techniques au fur et à mesure."

Pour lui, "narrativement, c'est très intéressant. Quand nous avons écrit le livre avec Sébastien, nous n'avions pas la même idée de la fin. Le numérique nous permet d'en renforcer l'ambiguïté : on ne sait pas si le savant voit vraiment des fées ou s'il devient fou car les fées apparaissent et disparaissent quand on passe le doigt dessus. Il nous permet aussi d'être plus subtil et d'aller plus loin dans des choses complexes, comme la lecture de l'image, et maîtriser ce qui apparaît en premier et en second", note-t-il, heureux d'avoir conçu en équipe cet "objet étrange, dont on ignore encore le destin".

Bloguez, jeunesse !

 

Peu présente dans les médias et totalement absente des émissions de télévision, la littérature de jeunesse a trouvé avec Facebook, les blogs et autres réseaux sociaux un moyen de communiquer directement avec ses lecteurs.

 

Les éditeurs jeunesse n'ont pas tardé à comprendre que les blogueurs forment une nouvelle communauté de prescripteurs.- Photo OLIVIER DION

Sites communautaires, blogs, Facebook et autres réseaux sociaux... l'édition pour la jeunesse a très vite compris où se trouvaient les nouveaux prescripteurs. A l'initiative de sa directrice marketing Antoinette Rouverand, Hachette Jeunesse Roman a été le premier à lancer en juillet 2008, à l'occasion de la parution du 4e tome de la série Twilight, le site Lecture-academy.com, autour de la collection pour les adolescents et les jeunes adultes "Black moon". Sophistiqué et interactif, proposant des nouvelles en "exclusivité" pour créer le suspense et des premiers chapitres en feuilletage, c'est aussi un site où l'on partage sa bibliothèque et où l'on "post". Pas moins de 100 000 visiteurs uniques le fréquentent chaque mois. De son côté, Gallimard Jeunesse a fait le choix d'un blog Onlitplusfort ! sur la plateforme Skyblog, où les lecteurs interviennent de la même façon.

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Les éditeurs doivent aussi compter avec les blogs indépendants. Les blogueurs, qui sont le plus souvent des blogueuses, ne sont pas uniquement des adolescentes passionnées de lecture, mais aussi des bibliothécaires, des libraires, des mères de famille. Sur quoi écrivent-elles ? Sur le fantastique et la fantasy, certes, mais pas uniquement. Elles traitent de "bit lit" (des vampires), de "chick lit", de romance, d'histoires de vie, d'aventures, d'albums pour les petits.

150 À 200 BLOGUEUSES

Photo OLIVIER DION

Comme dans la mode, où les blogueuses influentes reçoivent produits de beauté et vêtements de marque, certaines internautes sont sélectionnées par les éditeurs "sur l'écriture, le choix des livres, la fréquentation du blog, le rythme des posts, le nombre de commentaires, le nombre de liens, car il y a plus de chance que les gens atterrissent sur le blog", selon Aude Marin, attachée de presse de La Martinière Jeunesse-Seuil Jeunesse. Au nombre de 150 à 200, elles ne reçoivent pas tous les livres. "J'ai une relation personnelle avec elles, je connais leurs goûts et leurs centres d'intérêt, je fais des envois ciblés et j'essaie de les impliquer dans la promotion", explique Cécile Benhamou, attachée de presse d'Hachette Jeunesse Roman.

Photo OLIVIER DION

"La communauté fonctionne sur le principe du conseil à un ami. Elle unit des gens aux goûts semblables, des spécialistes et des amateurs très motivés", souligne Mireille Tyckaert, responsable de la promotion et du marketing de Nathan Jeunesse. Le blogueur fait de la veille technologique. Il lit les livres en anglais et ne recule pas devant un voyage à Londres pour rencontrer son auteur favori. "Incontestablement, on a affaire à de nouveaux usages et de nouvelles techniques de communication auxquels il faut s'adapter, poursuit Mireille Tyckaert. Les blogueurs créent du buzz - certains vont chercher la couverture américaine et le "trailer" [bande-annonce] sur le Web -, mais l'événement reste la parution. Comme sur Google, plus on parle d'un titre, plus il monte dans la liste. En termes de marketing, on n'a pas un tel retour avec cinq pages de publicité dans la presse !" souligne-t-elle.

"Le lectorat n'est pas aussi large que celui d'un grand quotidien mais il draine des acheteurs potentiels", renchérit Aude Marin chez La Martinière. "Le procédé permet un contact direct avec nos lecteurs, c'est du "one to one"", précise Anne Blondat, attachée de presse de "MSK" (Le Masque).

FIDÉLITÉ, PROXIMITÉ

Fidélité (les concours peuvent drainer jusqu'à 1 000 participants, comme le dernier organisé par Gallimard Jeunesse), proximité avec le lecteur, retour sur le contenu des livres : le blog ou le site communautaire présentent plusieurs avantages. Ils permettent de communiquer de "façon plus directe, moins institutionnelle", selon Céline Dehaine, responsable marketing de Gallimard Jeunesse. "Le ton est très libre, sans prétention, et relève d'une discussion avec une copine à la récré", confirme Aude Marin. On peut aussi les animer : premiers chapitres offerts en lecture, bandes-annonces, vidéos, interviews filmées d'auteurs, mises en scène du blogueur, play-lists, "bonus".

Pour Comment sauver un vampire amoureux (Seuil Jeunesse), l'auteure Beth Fantaskey a écrit des chapitres inédits pour le Web, où elle raconte le mariage. Cécile Benhamou imagine quant à elle une animation différente à chaque titre. La dernière en date vise "le livre voyageur" : "On a mis dix exemplaires du livre en circulation. Au blogueur de le lire, de publier une critique sur le Net, de se prendre en photo avec l'ouvrage. Celui qui créera le plus de buzz aura un cadeau, et la photo la plus sympa permet de gagner un tête-à-tête avec l'auteur", explique-t-elle.

En 2012, Céline Dehaine compte développer l'activité de Gallimard Jeunesse sur Twitter, "en pleine explosion". Hachette Jeunesse lancera Tixmee.com, un site consacré à la nouvelle série Witch & Wizard de James Patterson, qui "aura la fonctionnalité de Facebook avec encore plus d'innovation et tout le savoir-faire acquis avec lecture-academy". Le Net n'a pas fini de "buzzer".

Hunger games joue et gagne

Hunger games, le livre de la dystopie, qui - au contraire de l'utopie - met en scène des enfants obligés de survivre dans une société totalitaire, triomphe. Les trois volumes de Suzanne Collins figurent respectivement aux 7e, 24e et 30e places de notre classement Ipsos/Livres Hebdo des meilleures ventes de livres jeunesse grand format de janvier à septembre 2011, alors que le film tiré du premier volume sortira sur les écrans en mars prochain. Promise d'Ally Condie, qui relève également de la dystopie, s'inscrit en 31e position.

Si Stephenie Meyer perd du terrain - seul le quatrième volet de Twilight, Révélation, est encore classé (9e) -, les vampires ont toujours la cote. On retrouve au palmarès les cinq tomes du Journal d'un vampire de Lisa Jane Smith (respectivement 3e, 5e, 14e, 15e et 18e) et deux volumes du Journal de Stefan, un spin-off autour du personnage (8e et 28e) ; et trois volets de La Maison de la nuit de Phyllis C. et Kristin Cast (6e, 13e, 33e).

Plusieurs auteurs de titres à succès sont d'autre part de retour avec leurs nouvelles séries, telle Anne Robillard, auteure québécoise des Chevaliers d'Emeraude (encore 17e et 26e), en tête du palmarès avec Les héritiers d'Enkidiev. De même reviennent Rick Riordan (Percy Jackson, 11e et 34e) avec Héros de l'Olympe (4e) et Sophie Audouin-Manikonian (Tara Duncan) avec Indiana Teller (21e). Notre classement des meilleures ventes jeunesse souligne aussi la résistance de séries comme L'apprenti épouvanteur (2e), dont on attend aussi l'adaptation cinématographique, Artemis Fowl, Cherub, Eternels, Oksa Pollock, Le journal de Carrie, La guerre des clans,Guerres du monde émergé et 17 lunes. Le Journal d'un dégonflé décolle dans les ventes, et Cathy's book, paru en 2009, s'installe comme un long-seller.

Si Hachette Jeunesse reste le mieux représenté au palmarès avec 9 titres de la collection "Black moon", pour les jeunes adultes, Pocket le talonne de près avec 8 titres. Ils sont suivis par Albin Michel Jeunesse et Michel Lafon avec 5 titres chacun.

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