L'intelligence artificielle porte-t-elle atteinte au droit d'auteur ? Un an après l'explosion des IA génératives, aucune jurisprudence n'apporte encore de réponse franche, même si deux positions s'affrontent au sein de la doctrine : les tenants du droit d'auteur considèrent que l'atteinte est caractérisée au motif que mémoriser une œuvre pour alimenter une IA implique un stockage, et donc une reproduction des contenus... Toutes opérations pour lesquelles le code de la propriété intellectuelle (CPI) impose d'obtenir l'accord de l'auteur. D'autres juristes estiment que la reproduction instantanée, très courte, d'une œuvre ne suffit pas à caractériser l'atteinte, au motif qu'il n'y aurait pas réellement d'exploitation de celle-ci. Dans cette hypothèse, qu'il ne faut pas exclure, l'IA sortirait alors du champ du droit de la propriété intellectuelle.

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Un avocat dans les couloirs du tribunal de Paris.- Photo OLIVIER DION

En réalité, la majorité des réponses envisagées abordent aujourd'hui l'IA au prisme d'un régime d'exception au droit d'auteur. Le droit de la propriété intellectuelle comprend déjà plusieurs exceptions destinées à faciliter l'usage des œuvres par le public (prêt en bibliothèque, copie privée...). En 2019, la directive européenne sur le droit d'auteur et les droits voisins a posé une nouvelle exception de fouille de données (data mining), qui autorise l'exploration automatisée de textes et de données à des fins de recherche scientifique sans avoir à recueillir l'autorisation préalable des titulaires de droits. La directive autorise aussi la fouille de données par des personnes privées ou publiques pour tout usage à condition que les détenteurs de droits n'aient pas exercé leur droit de retrait (opt-out) pour s'opposer aux opérations de fouille. D'aucuns y voient le texte idéal pour régler la question des IA. Une ordonnance de novembre 2021 a d'ailleurs intégré ces règles dans le CPI. 

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Stéphanie Le Cam- Photo DR

Mais assurer le respect de l'opt-out implique de pouvoir accéder aux sources collectées par les plateformes d'IA. Un principe de transparence que ces dernières sont bien peu à respecter aujourd'hui... et qui pourrait bientôt leur être imposé. Adopté en juin 2023, le règlement européen AI Act a intégré des dispositions spécifiques aux IA génératives. Conçu pour encadrer leur usage et leur commercialisation, le texte fait actuellement l'objet d'un trilogue entre le Conseil, la Commission et le Parlement en vue d'une entrée en vigueur courant 2025. Il pose déjà le principe de l'obligation pour les plateformes d'IA générative de fournir un résumé des usages des œuvres protégées. Une position soutenue par les éditeurs. « L'enjeu majeur est celui de la transparence, explique Catherine Blache, responsable des relations internationales au Syndicat national de l'édition (SNE). Nous pensons même qu'il faut aller plus loin en matière de transparence avec l'établissement de listes des œuvres protégées utilisées. » 

Dans une tribune publiée dans Le Monde, un collectif de 75 organismes professionnels des secteurs de la création et des industries culturelles, parmi lesquels le SNE, a ainsi appelé à l'adoption de règles sur la transparence dans le cadre du projet de l'AI Act. Cette mobilisation intervient aussi en réponse aux prises de position du gouvernement français qui cherche, avec d'autres pays, à limiter les obligations de transparence, perçues comme une entrave par les acteurs européens de la tech. 

À rebours de cette tribune, la Ligue des auteurs professionnels appelle pour sa part à reconsidérer la possibilité même d'une exception au droit d'auteur. « Nous pensons à la Ligue que l'exception de data mining ne passe pas le triple test dans le cadre des IA génératrices de contenus », souligne sa directrice Stéphanie Le Cam. Pour mémoire, le triple test est un dispositif de la convention de Berne qui réserve aux États la faculté de créer des exceptions au droit d'auteur à condition que ces exceptions soient limitées à des cas spéciaux, ne portent pas atteinte à l'exploitation normale de l'œuvre et ne causent pas de préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l'auteur. « La tribune des organisations professionnelles va directement sur l'opt-out, mais en négligeant deux étapes du raisonnement : y a-t-il atteinte au droit d'auteur ? Et si l'on admet cette atteinte, alors quid de l'exception de data mining ? Passe-t-elle le triple test dans le cas de l'IA ? » poursuit Stéphanie Le Cam. Si l'on admet qu'il n'y a pas d'atteinte, alors c'est tout l'édifice du droit d'auteur applicable aux livres qui devrait être écarté au profit d'autres terrains, comme celui de l'action en concurrence déloyale prévue par le Code civil.  C. K.

03.11 2023

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