Reportage

En terre de Goncourt avec les détenues de la prison pour femmes de Rennes

Le lancement du prix s'est déroulé dans la bibliothèque de la prison pour femmes de rennes - Photo Ministère de la Justice

En terre de Goncourt avec les détenues de la prison pour femmes de Rennes

Pour sa deuxième édition, le Goncourt des détenus a décidé de se rendre en Bretagne, au centre pénitentiaire de Rennes. Au programme, débats et échanges pour passionnés de lecture.

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Par Pauline Gabinari à Rennes ,
Créé le 07.09.2023 à 19h07

Le Goncourt des détenus, a lancé, mercredi 6 septembre au centre pénitentiaire de Rennes, sa deuxième édition, dans une ambiance studieuse. “Applique-toi bien”, lance Isabelle*, une détenue, alors que sa voisine, stylo en main, prend en note quelques conseils de lecture. Derrière elle, on se passe la liste des livres sélectionnés par l'académie Goncourt, on les étudie et on se demande qui a lu quoi. “Celui-ci me donne bien envie”, se risque Isabelle en pointant Les Amants du Lutetia, un roman d’Emilie Frèche.

Sérieuses, attentives et à l’écoute, elles sont une petite vingtaine ce mercredi 6 septembre à accueillir dans la prison pour femmes de Rennes, où elles sont incarcérées, institutionnels, auteurs et membres de l’administration pénitentiaire pour le lancement de la deuxième édition du prix. Une première pour le centre de détention comme pour la majorité des participantes. “Je ne pensais pas qu’il y aurait tant de monde”, glisse Anae*, un peu impressionnée.

Les secrets d’un académicien

Flanquée de grandes fenêtres, d’un parquet qui grince et d’un gros ficus dans un pot rose, la bibliothèque de l’établissement pénitenciaire est pleine à craquer ce matin. Face au public, trois détenues membres du jury, les académiciens du prix Goncourt, Paule Constant et Didier Decoin, la lauréate de la première édition, Sarah Jollien-Fardel, et la présidente du Centre national du livre (CNL), Régine Hatchondo. Pendant un peu plus d’une heure, ils débattront ensemble de lecture, de coups de cœur littéraires et de ce que c’est “être jury”. “Ça vous arrive aussi de ne pas réussir à finir un livre que vous devez lire pour le Goncourt ?” Sous ses airs naïfs, la question interpelle. Cette année, Paule Constant a lu pour le célèbre prix 80 livres, en a reçu 200 et en a sélectionné 20. “Je laisse toujours 40 pages à un livre pour se défendre mais après 40 pages, si ça ne me plait pas par contre...”, dit-elle dans un sourire, laissant entendre que sa lecture de certains ouvrages n’a jamais dépassé les 40 pages.

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De gauche à droite : Régine Hatchondo, Sarah Jollien-Fardel, Paule Constant, Didier Decoin- Photo MINISTÈRE DE LA JUSTICE

Née il y a un peu plus d’un an grâce au CNL et à l’Académie Goncourt, l’idée d’un prix se déroulant en prison était présente depuis bien longtemps dans l’esprit de Didier Decoin. “Nous avions déjà fait un premier essai il y a 22 ans, à Blois, mais cela n’avait pas eu cette importance”, raconte l’écrivain. Et pour cause, cette année, 40 établissements soit environ 500 détenus répartis dans toute la France participeront à ce prix dont le fonctionnement est assez semblable au Goncourt des lycéens. “C’est un grand prix”, affirme la lauréate de l’an passée, Sarah Jollien-Fardel, encore émue de cette victoire particulière pour elle.

Un jury 100% indépendant

Dans le bruit des mouettes rennaises, un véritable échange et partage d’expérience se noue. Tandis que les académiciens distillent leurs conseils - “Attention à ne pas se laisser avoir par les premières pages des écrivains séducteurs !”, on interroge ce jury particulier, indépendant de toute amitié ou accointance germanopratine.

“Contenu de vos conditions de vie, mais aussi de votre passé, quelle est votre réaction face aux livres durs ?", demande Paule Constant. "Est ce que vous préférez les livres feel good ?”. La réponse se fait entendre comme d’une seule voix par la vingtaine de femmes présente : “Ma situation carcérale n’a pas de répercussion sur mes choix de lecture.”

Toutes bonnes lectrices, elles ont d’ailleurs des avis bien différents sur les ouvrages. Pour la fin du livre de Sarah Jollien-Fardel, par exemple, c’était soit tout blanc, soit tout noir. “Certaines ont pensé que le personnage se suicidait, moi j’ai toujours pensé qu’elle s’échappait”, se risque Ingrid*, membre du jury du Goncourt des détenus. De quoi promettre, cette année encore, de riches échanges avec les auteurs avant la remise du prix le 14 décembre prochain.

*Les prénoms ont été changés

 

Lire : La première sélection du prix Goncourt 2023

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