Entretien

Eric Simard : « il y a un boom des ouvertures de librairies au Québec »

Eric Simard (Librairie du Square, Montréal), président de l'Association des libraires du Québec (ALQ), vendredi 26 novembre 2021 à Montréal. - Photo F.Piault/LH

Eric Simard : « il y a un boom des ouvertures de librairies au Québec »

Pour le président de l'Association des libraires du Québec, la librairie québécoise traverse une période inédite depuis les années 1970-1980.

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Par Fabrice Piault, Montréal
Créé le 29.11.2021 à 14h24

Encouragées par le renouveau de l'édition québécoise et la consolidation du soutien public, surfant sur un marché du livre dopé par des confinements successifs qui ont massivement bénéficié à la lecture, 16 nouvelles librairies se sont créées en deux ans au Québec. 6 autres sont en projet dans un réseau auparavant très stable. Si 10 créations sont intervenues à Montréal, les autres contribuent à revitaliser des villes moyennes (Sherbrooke, en Estrie) ou petites (Saint-Adèle, dans les Laurentides), voire très petites (Percé, Îles de la Madeleine...). Un phénomène qui conduit l'Association des libraires du Québec (ALQ), dont le nombre d'adhérents a crû de 125 à 138 adhérents en deux ans, à réviser ses priorités, explique à Livres Hebdo son président Eric Simard, qui dirige à Montréal la Librairie du Square.

Livres Hebdo : Au Québec la pandémie a provoqué la fermeture d'une multitude de commerces, mais les librairies, elles, se multiplient. Que se passe-t-il ?
Eric Simard : Il y a en effet un boom des ouvertures de librairies que nous n'avons pas connu depuis les années 1970-1980. Dès avant la pandémie, qui a accéléré le phénomène, le livre redevenait un peu tendance, la librairie avait une bonne image. Mais l'industrie du livre se portant bien aujourd'hui, de nouveaux entrepreneurs estiment qu'elle offre des opportunités. Ils ouvrent surtout des librairies petites et spécialisées, par exemple dans le livre pour la jeunesse ou les littératures de genre. Ils conçoivent des lieux très incarnés, proposant beaucoup d'animations et d'activités, avec la volonté de constituer un espace social qui contribue à revitaliser leur quartier. Le défi, pour l'ALQ, est de les aider à s'installer et à traverser le temps.

Quel est le profil de ces nouveaux libraires ?
Il y a d'anciens employés de librairies, cela aide d'avoir une expérience dans le milieu. Plusieurs viennent aussi de l'édition. Mais pas seulement. Le fondateur de la librairie Saga, à Montréal, bilingue et dédiée aux littératures de genre, est un ancien enseignant par exemple. La plupart ont le réflexe d'adhérer à l'ALQ, où ils trouvent des conseils souvent avant même d'ouvrir. C'est pour cela que nous nous sommes fixés l'objectif de les soutenir, de répondre à leurs questions.
Nous constituons, grâce notamment au groupement leslibraires.ca, un réseau d'entraide. Nous nous envoyons des clients. Les libraires indépendants ne se considèrent plus aujourd'hui comme concurrents. Notre site commun de vente en ligne contribue à cette collaboration. Même avec la grande chaîne Renaud-Bray/Archambault d'ailleurs, je ne me sens plus en concurrence désormais. Ils ont vraiment une clientèle différente. Chacun à son style. Moi qui viens de l'édition, je suis convaincu que chaque libraire doit avoir sa propre ligne éditoriale. La production est devenue tellement importante que les librairies se ressemblent beaucoup moins aujourd'hui qu'il y a vingt ans.

Dans quelle mesure la pandémie a-t-elle fait évoluer les pratiques des libraires québécois ?
Le premier changement, c'est celui qu'a introduit chez nous l'essor brutal de la vente en ligne. Heureusement que nous disposions de notre plateforme commune leslibraires.ca ! Mais lorsque le confinement et la fermeture des commerces ont été décrétés, nous n'étions ni équipés, ni préparés à faire des colis toute la journée : personnellement, je m'y suis mis huit heures par jour, c'était complètement nouveau. La pandémie nous a aussi beaucoup rapproché de nos clients. Ils nous ont soutenus. Nos librairies sont devenues pour eux des refuges. Cependant, le principal défi auquel nous nous sommes trouvés confrontés, c'est celui de la croissance. En 2020 nous avons progressé de quelque 30 %. Cela continue en 2021. Nous sommes entrés dans une autre dimension, au point qu'est venu le moment où je n'étais plus en mesure d'établir les jauges pour mes commandes.

D'où vient cette si forte croissance ?
Les gros lecteurs ont augmenté leur consommation. Mais la croissance vient surtout du retour au livre de lecteurs qui ne lisaient plus. Dans les programmes de soutien au livre et à la lecture, on cible toujours les non-lecteurs, et on oublie cette catégorie des anciens lecteurs. Or, grâce à la pandémie, après avoir fait le tour de Netflix, ils sont revenus car ils avaient plus de temps. Ils avaient juste besoin qu'on les reséduise, et ils ont aimé ça d'autant qu'ils culpabilisaient de ne plus lire.

Cette tendance vous semble-t-elle durable ?
J'espère qu'elle va se poursuivre ! Je pense que la lecture a retrouvé une place de choix pour quelque temps. Ce sont ce belles années, cela me grise de voir tous ces gens revenir au livre.

Comment allez-vous orienter l'activité de l'ALQ dans la période qui vient ?
Nous voulons améliorer significativement le professionnalisme de la librairie. Le défi de la vente en ligne nous a confronté à cet enjeu de professionnalisation pour améliorer nos performances. Avant, nous développions un programme de formations assez uniforme. Nous en avons diversifié les domaines et les niveaux, pour toucher aussi bien des libraires débutants que confirmés ou avancés. Nous varions aussi les formats en utilisant les outils de communication à distance comme Zoom. Enfin, nous voulons aussi échanger plus systématiquement nos bonnes pratiques, mieux utiliser nos ressources internes qui sont tout de même importantes avec maintenant 138 adhérents. Tout cela doit nous permettre de mieux nous faire reconnaitre comme une force par les éditeurs, qui ne nous prennent pas toujours au sérieux et nous utilisent mal alors qu'ils devraient nous considérer comme un levier.
 

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