Avec 230 000 visiteurs, dont la moitié de professionnels du livre (+ 3 %), selon les données des organisateurs, la 77e Foire du livre de Francfort, qui a fermé ses portes dimanche 19 octobre, s'est révélée comme un succès public. Et si personne n'a boudé son plaisir de se retrouver au Messe en journée ou au Frankfurter Hoff en soirée, cet hôtel art déco du centre-ville haut-lieu des échanges informels entre éditeurs et agents, cette édition s'avère l'une des « plus calmes » pour de nombreux acteurs du secteur.
« Peu de titres chauds et des marchés du livre qui incitent à la prudence partout dans le monde », résume à Livres Hebdo Joachim Schnerf, directeur de droits étrangers chez Grasset, qui a vendu juste avant le rendez-vous le deuxième roman d'Adèle Rosenfeld, L'Extinction des vaches de mer, à paraître en janvier à Graywolf (États-Unis), Suhrkamp (Allemagne) ou encore Fosforo (Brésil). « Il y avait beaucoup de joie dans les allées de la Foire avec l'envie d'échanger et d'avoir des discussions de fond », commente-t-il en estimant que c'est « certainement la meilleure chose à faire plutôt que de courir à tout prix derrière le buzz ».
Du côté de la non-fiction, Denoël a suscité de l'intérêt avec sa nouvelle collection « Masterclass », qui sort à la fin du mois en France avec des têtes d'affiche internationales telles que le militant écologiste Paul Watson ou le chef Pierre Gagnaire. « C'est un format court plébiscité à l'international » se réjouit la dirigeante Dorothée Cunéo qui a de son côté acheté un titre juste avant la Foire.
Comme répété depuis 40 ans, vendre un titre est « toujours plus compliqué », à Francfort et ailleurs. Participant pour la première fois au Paris Book Market en juin dernier, Ebbä Otsberg, directrice éditoriale de Forum, maison généraliste du groupe Bonnier en Suède, a profité de Francfort pour rencontrer deux représentants français qu'elle n'avait pas pu voir à Paris. Ce voyage printanier lui avait « permis de tisser des liens avec le marché français qu'on avait un peu délaissé ces dernières années », confie-t-elle à Livres Hebdo. Après avoir acheté les droits à JC Lattès des deux titres de Caroline Darian, la fille de Gisèle Pelicot, elle a acquis au PBM un premier titre de Virginie Grimaldi. À Francfort, elle a eu huit rencontres avec des français et compte bien poursuivre les échanges jusqu'au prochain PBM prévu les 4 et 5 juin prochain.
Guerres et P(DG)
Sur les bords du Main, les grands dirigeants qui font la planète livre étaient comme chaque année largement mis en avant, entre CEO Talk et Executive Talk, de Chantal Restivo-Alessi d'Harper Collins à Véronique Cardi de JC Lattès en passant par Christian Schumacher-Gebler (Bonnier) et Perminder Mann de Simon & Schuster. Cette dernière, lors d'un talk très suivi par les professionnels de l'édition mondiale, est notamment revenue sur ses méthodes de management et la nouvelle organisation qu'elle compte mette en place pour ses salariés en Grande-Bretagne, entre nouveaux locaux et doutes sur le télétravail.
Tout comme l'IA qui a plus que jamais inondé chaque conférence et chaque conversation, les différents conflits mondiaux, Ukraine et Palestine en tête, ont évidemment aussi animé les discussions, notamment lors d'une table ronde réunissant des libraires travaillant en temps de guerre. De la même manière, l'incarcération de Boualem Sansal a donné lieu à divers rendez-vous de soutiens, dont un organisé par le PEN Berlin, avec la participation de Kamel Daoud, venu également présenter la version allemande d'Houris (prix Goncourt 2024). « Je n'ai pas écrit un livre de compassion, ni historique ni politique, mais bien un livre sur la résurrection, sur le rapport douloureux d'un être humain avec la guerre », a-t-il expliqué à ses lecteurs allemands. À noter que les 30 éditeurs internationaux de Kamel Daoud étaient réunis au Messe.
Quels « hot titles » sur la Foire ?
Malgré le calme dans les échanges noté par les éditeurs, quelques titres en français semblent tout de même avoir tiré leur épingle du jeu. Quarante traductions, un record difficilement dépassable, c’est ce ce que revendiquent par exemple les éditions Stock avec Moi qui n’ai pas connu les hommes, « le best-seller posthume de Jacqueline Harpman », selon son éditeur Manuel Carcassonne. Parue en 1995, cette dystopie de la romancière belge raconte la claustration de « quarante femmes, enfermées dans une cave, dont la plus jeune – la narratrice – n’a jamais vécu ailleurs ». Servante écarlate européen qui évoque des faits divers ultérieurs (Natacha Kampusch en tête), le livre est ressorti en avril dernier en France.
Belge également, la romancière Caroline Lamarche, autrice du Bel Obscur (rentrée Seuil), a séduit les États-Unis, la Grande-Bretagne, les Pays-Bas et est en lecture pour l’Allemagne et l’Italie, se réjouissent les agents français Laure Pécher et Pierre Astier. Ils notent aussi l’intérêt des marchés étrangers pour le roman de la libanaise arabophone Hoda Barakat dont le livre Hind ou la plus belle femme du monde a paru en français chez Dar Aladab, en 2024. Les deux agents représentent également les anciens livres d’Antoine Wauters, dont Judith Rosenzweig chez Gallimard nous affirme que le nouveau roman Haute-Folie est très regardé à l‘international. Moins peut-être que Nathacha Appanah, dont La nuit au cœur, aurait été préempté par 16 territoires avant même la Foire.
Elle s’appelait Elisabeth le premier roman d’Adèle Yon se vend dans de nombreux pays également, sans que Le Sous-sol, son éditeur, n'ait souhaité en dresser la liste complète sur place.
Chez Stock, on note également l’intérêt pour les livres de la rentrée de Maria Pourchet, Cédric Sapin-Defour ou Charif Majdalani. Au Seuil, on insiste sur le succès de Sécher tes larmes de Mei Lepage premier thriller d’une série sous-titré « une enquête d’Emma Fauvel » et à paraître en janvier sous le label Verso… Du côté des éditions de L’iconoclaste, on se réjouit de l’accueil de La bonne mère de Mathilda Di Matteo, qui a déjà retenu l’attention de l’Allemagne et des Pays-Bas. Côté étranger enfin, nous a été évoqué le suisse-allemand Nelio BIderman, 22 ans et petit-fils de Thomas Mann, dont le roman Lazar susciterait déjà l’intérêt de 25 territoires.