Goncourt, Renaudot, Femina…

Grands prix d’automne : à fond l’histoire

Eric Vuillard à la table des Goncourt. - Photo Olivier Dion

Grands prix d’automne : à fond l’histoire

D’Eric Vuillard à Daniel Rondeau, les auteurs récompensés par les grands prix littéraires de l’automne 2017 engagent leurs lecteurs à une prise de conscience politique et sociale.

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Par Isabel Contreras,
Créé le 10.11.2017 à 16h44

Le poids des faits historiques, leurs conséquences et leur résonance dans l’actualité ont dominé la saison 2017 des grands prix d’automne. La victoire d’Eric Vuillard au Goncourt, pour L’ordre du jour, chez Actes Sud, a donné le ton lundi 6 novembre chez Drouant. Ce court récit de seulement 150 pages décrit de manière incisive les raisons notamment financières qui ont favorisé la montée du nazisme. Les scènes documentées et imagées d’Eric Vuillard mettent en avant l’inconséquence de certains hommes politiques dans leur prise de décision. Ils montrent comment leurs actes ont déclenché les pires atrocités. "C’est difficile d’écrire des romans qui ne résonnent pas dans leur époque. En tout cas, j’essaie d’être le plus conscient possible", a déclaré le lauréat assis à la table des Goncourt.

La horde des journalistes

A un couloir de là, Olivier Guez n’a même pas eu le temps d’enlever son long manteau beige qu’il était assailli par la horde des journalistes. Il vient de remporter le prix Renaudot pour La disparition de Josef Mengele, publié chez Grasset. Il a, lui, "mis en abyme toutes les légendes et la vie pathétique" de Josef Mengele, médecin tortionnaire d’Auschwitz, après la Deuxième Guerre mondiale. L’auteur a aussi écrit ce livre porté par l’actualité, et notamment par les attentats terroristes qui ont frappé la France et le monde ces dernières années. Ce roman "a été écrit dans un contexte très particulier et il n’est pas le seul, on le sent d’ailleurs dans la production littéraire de cet automne. On a peut-être du mal à mettre des mots sur ce qui s’est passé ces dernières années, mais on sent cette présence du mal quelque part. Dans le contexte de l’Europe en 2016, je trouve pas mal qu’on se souvienne de Josef Mengele, de la médiocrité du mal", a souligné Olivier Guez.

Rendre compte de son époque

Consacré par le grand prix du Roman de l’Académie française, Daniel Rondeau a lui aussi voulu rendre compte de son époque dans Mécaniques du chaos (Grasset). A travers quatre personnages, l’écrivain, ancien ambassadeur à Malte, tisse une toile d’araignée au-dessus de la Méditerranée où se croisent une jeune migrante somalienne, un anthropologue, un flic antiterroriste et un trafiquant de drogue.

La forme des ouvrages distingués par les grands prix a aussi fait parler. Le couronnement par le Goncourt d’un récit et non d’un roman n’a pas manqué de surprendre. L’enquête journalistique d’Olivier Guez, mais aussi celle de Philippe Jaenada dans La serpe (Julliard), prix Femina du roman français, donnent encore plus de poids à la tendance de l’exofiction. Cependant, Le dossier M, monumental ouvrage de presque 900 pages de Grégoire Bouillier (Flammarion), auréolé par le prix Décembre, n’est pas non plus passé inaperçu. "C’est une entreprise littéraire inédite qu’on peut aussi consulter, feuilleter", a fait remarquer la présidente du jury, Cécile Guilbert.

Excellente performance de Grasset

Côté éditeurs, le palmarès 2017 marque le retour en beauté d’Actes Sud qui remporte non seulement le Goncourt, mais aussi le Renaudot dans la catégorie essai, décerné à Justine Augier pour De l’ardeur. La maison arlésienne avait été la grande absente du palmarès des grands prix d’automne 2016. Grasset réalise aussi une excellente performance en s’imposant au Renaudot et à l’Académie française, où Gallimard était pourtant en pole position avec Yannick Haenel pour Tiens ferme ta couronne. La maison a obtenu le Femina étranger pour John Edgar Wideman.

Albin Michel, qui n’a pu obtenir le Goncourt, ni le Femina avec Véronique Olmi, conserve encore une chance à l’Interallié, qui doit être décerné avant la fin du mois, et aux Médicis étranger et essai. De même, le Seuil, dont aucun auteur n’avait encore été récompensé mercredi soir, retenait son souffle pour l’Interallié et le Médicis, lequel devait être remis jeudi 9 novembre et qui pouvait revenir à Kaouther Adimi, David Lopez ou Chantal Thomas. Flammarion espère encore pour Alice Zeniter le très prescripteur Goncourt des Lycéens.

Double victoire lyonnaise

Bernard Pivot et Eric Vuillard.- Photo OLIVIER DION

"C’est étonnant que vous remportiez le Goncourt le lendemain du triomphe de l’Olympique lyonnais à Saint-Etienne !" a fait remarquer Bernard Pivot à l’écrivain Eric Vuillard, "Lyonnais de naissance". Le président de l’académie Goncourt, passionné de foot, est lui supporter de longue date des Verts de Saint-Etienne, défaits le 5 novembre face à l’OL (5-0).

Renaudot : pourquoi s’infliger ça ?

Olivier Guez, prix Renaudot, avec son éditeur, Olivier Nora (Grasset). - Photo OLIVIER DION

"Il y a des jours où vous vous dites que vous êtes fou. Pourquoi s’infliger ça ? Pourquoi traquer l’un des pires salopards alors qu’il y a tellement de belles histoires à raconter ?" a réagi l’écrivain Olivier Guez à propos de son livre La disparition de Josef Mengele (Grasset) qui revient sur la vie du médecin tortionnaire d’Auschwitz après la guerre.

Le Femina rate le 13 heures

Philippe Jaenada, lauréat du Femina roman, et son éditrice chez Julliard, Betty Mialet. - Photo OLIVIER DION

"Les dames sont encore au café !" s’exclame un journaliste, l’air résigné. Embarras général : les jurées du Femina n’ont pas fini leur déjeuner, et l’annonce des lauréats n’a pas encore été faite. C’est aux journalistes de prévenir leur rédaction : les directs programmés à 13 heures depuis le Cercle de l’Union Interallié sont annulés. Les fuites sur les réseaux sociaux, elles, n’attendent pas la fin du repas : le nom de Philippe Jaenada circule déjà.

Académie : Rondeau inattendu

Daniel Rondeau dans la cour de l’Institut.- Photo OLIVIER DION

Premier prix de la saison, le grand prix du Roman de l’Académie française a fait l’objet des rumeurs les plus folles, surtout après l’intégration surprise à la deuxième sélection du roman de Julie Wolkenstein, Les vacances (P.O.L). Donné gagnant, Yannick Haenel (Tiens ferme ta couronne, Gallimard) a finalement été battu d’une voix par Daniel Rondeau (Mécaniques du chaos, Grasset). Julie Wolkenstein n’a pas obtenu de voix.

Caviar au Décembre

Grégoire Bouillier, lauréat du prix Décembre pour Le dossier M chez Flammarion. - Photo OLIVIER DION

Mécène historique du prix Décembre, Pierre Bergé est décédé en septembre. Sa succession n’étant pas réglée, le prix n’a pas pu être doté cette année. La secrétaire du prix, Marie-Christine Perreau-Saussine, a toutefois proposé au lauréat et au jury un plaisir de consolation : "du caviar made in La Rochelle et un peu de vodka". Hauts les cœurs !

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