Les nouvelles boss de l'édition 5/5

Hélène Fiamma, là où on ne l'attend pas

Hélène Fiamma - Photo Olivier Dion

Hélène Fiamma, là où on ne l'attend pas

A la tête de J'ai lu depuis cinq mois, Hélène Fiamma revient dans le giron de Flammarion, le groupe qui l'a fait grandir entre 1996 et 2010. Depuis, elle a mené une carrière à son image : libre et peu conventionnelle. Dernier volet de notre série de cinq portraits des «nouvelles boss de l'édition». _ par

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Par Marine Durand,
Créé le 17.10.2019 à 22h21

On s'attendait à la retrouver dans son bureau de directrice, mais c'est à une centaine de mètres, à la terrasse d'un PMU sans charme du 13e arrondissement de Paris, qu'Hélène Fiamma préfère recevoir. Ce n'est pas qu'elle ait tardé à prendre ses marques, Quai Panhard-et-Levassor. Neuf ans après son départ du département Savoir de Flammarion, la nouvelle directrice de J'ai lu a réintégré le grand immeuble vitré comme si elle ne l'avait jamais quitté. « Je suis simplement passée du 2e au 3e étage », explique-t-elle, en allumant une première cigarette. Non, ce serait plutôt qu'elle a la bougeotte, Hélène Fiamma. Et l'on n'écrit pas ça seulement parce qu'une semaine par mois elle dit au revoir à sa fille, née d'une première union, et fait sa valise pour la Bulgarie. Fin 2017, elle a quitté son poste de directrice éditoriale de Payot & Rivages pour s'installer à Sofia, avec son compagnon et leur fils mais sans le moindre projet professionnel. « J'avais besoin de changement, de découvrir l'oisiveté. Et cela sans m'enfermer dans une durée déterminée  », lâche-t-elle avec le sourire, racontant dix-huit mois de cafés, de cours de bulgare, de sessions « Pac Man » et de beaucoup de lecture. L'éditrice, de 49 ans, voyait aussi ce break comme une façon de se tester. « J'ai adoré cette période, d'autant que trois de mes proches étaient dans la même situation. »

Hélène Fiamma dans les bureaux de J'ai lu.- Photo OLIVIER DION

Gang de filles

Son histoire démarre loin de nos frontières. Hélène Fiamma grandit à Casablanca, au Maroc, en dévorant tout ce que contient la grande bibliothèque de ses parents, professeurs de maths. Paris n'est pour elle qu'une agréable destination de vacances, où s'installe un rituel familial : un croque-monsieur au cours d'une journée de shopping aux Galeries Lafayette. Si, encore aujourd'hui, « la France reste un peu un pays d'adoption », le coup de foudre avec la capitale, et notamment avec la Fnac des Halles, est immédiat lorsqu'elle s'y installe à 16 ans avec sa mère et sa sœur - « entre nanas », dit-elle avec la gouaille qui la caractérise. Hypokhâgne/Khâgne aux lycées Henri IV et Lakanal, Normale Sup' rue d'Ulm, son parcours scolaire raconte une jeune femme brillante, cultivée, et qui se voit bien travailler dans le livre, mais n'est « ni écrivain, ni critique, ni bibliothécaire, ni libraire ». Ce que son parcours d'éditrice chez Flammarion ne dit pas, en revanche, c'est qu'elle est une fan de science-fiction, et plus largement de romans, dont elle continue à remplir des paniers entiers chez Gibert.

En 1996, Monique Labrune, alors directrice du département des sciences humaines, l'engage pour s'occuper de l'histoire. Quelques semaines plus tard, Sophie Berlin, qui lui avait confié ses premières missions de lectrice pour Odile Jacob, les rejoint. « On était un gang de filles, quelque chose de rare s'est noué à ce moment-là », observe la directrice de J'ai lu, qui se souvient d'une période d'intense émulation intellectuelle et de soirées de vraie camaraderie, où l'on ne se prive ni de boire, ni de fumer. « On avait envie que ce soit joyeux, dans notre ruche à l'écart du monde, Quai Conti », commente de son côté Sophie Berlin, secrétaire générale édition de Flammarion. Pour décrire son amie, elle parle d'une femme « qui se connaît très bien et assume plus que d'autres ses goûts tranchés », notamment un tailleur Lolita Lempicka aubergine qu'elle aimait porter à l'époque. « Elle avait la touche d'excentricité nécessaire pour être une bonne éditrice », s'amuse de son côté Teresa Cremisi, ex-PDG de la maison, à qui Hélène Fiamma estime « devoir beaucoup ».

Monique Labrune, Sophie Berlin, Teresa Cremisi, mais aussi Maxime Catroux et Anna Pavlowitch, respectivement directrice littéraire au département Savoir et présidente de Flammarion, voilà celles qu'Hélène Fiamma nomme « les femmes de sa vie ». Pendant ses quatorze ans chez l'éditeur de Michel Houellebecq, son « dieu », elle a « appris le métier ». Evolué, en prenant notamment en charge les textes de références de la « GF », l'histoire et l'histoire littéraire. Edité de grands textes, à l'image des Disparus, de Daniel Mendelssohn, Prix Médicis étranger en 2007. Et beaucoup ri, en particulier la fois où elle a entièrement recouvert de scotch le bureau du directeur général, Gilles Haéri, aujourd'hui P-DG d'Albin Michel.

« C'était elle la patronne »

Apprendre en permanence, ne jamais s'ennuyer, « être heureuse au travail », voilà ce qui motive Hélène Fiamma, selon Sophie Berlin. Quand elle change soudainement de trajectoire, « ce ne sont pas des toquades, mais une fidélité à elle-même », ajoute-t-elle. En 2010, Hélène Fiamma coupe le cordon avec Flammarion et traverse la Manche pour prendre la direction du Bureau du livre de l'ambassade de France à Londres. Elle y vit sans sa famille quatre jours par semaine, porte les auteurs français en terres britanniques et « édite » un festival de bande dessinée française et anglaise. L'organisation d'un événement mêlant dessin en direct et dégustation de vin reste l'un de ses principaux faits d'armes. « Le dessinateur avait fini par lancer son verre de vin sur la toile, comme une aquarelle, c'était génial », s'exclame-t-elle.

Mais la boss de J'ai lu sait aussi être sérieuse quand il le faut. En décembre 2013, Françoise Nyssen, directrice d'Actes Sud, la nomme directrice éditoriale de Payot & Rivages, racheté un an plus tôt. « Il ne faisait aucun doute que c'était elle la patronne », analyse Christophe Guias, le directeur littéraire de Payot, qui la connaissait et l'appréciait déjà avant qu'elle prenne les rênes de la maison. Relooking de la « Petite bibliothèque Payot », création de la collection de BD « Payot Graphic », « elle a permis une ouverture, essayé des choses neuves, et elle avait une énergie démente. Pour certains, cela peut être une énergie qui porte, pour d'autres, une énergie qui brûle », remarque Christophe Guias. Emilie Colombani, éditrice chez Rivages, garde l'image d'une manageuse qui n'avait pas peur de prendre des risques, qui « savait distinguer l'enthousiasme véritable d'un éditeur qui venait lui parler d'un projet, et lui faire alors totalement confiance. Elle savait dire oui et elle savait dire non. Mais quand elle disait oui à un projet, son « oui » ne devenait jamais « je ne sais pas » ».

Muscler le commercial et le marketing

Hélène Fiamma a d'ailleurs des idées précises sur l'orientation à donner à J'ai lu. Après le départ de la directrice éditoriale Stéphanie Vincendeau en septembre, elle a repris elle-même la littérature française. Elle a confié la littérature étrangère et le polar à Anne Maizeret, et choisi de muscler le commercial en recrutant Nadia Level comme -directrice du développement commercial. L'enthousiasme de l'éditeur reste au centre. Pour preuve, elle dégaine, -ravie, un texto de la responsable de la romance Margaret Calpena, qui explique être « -excitée comme une puce » par l'un de ses nouveaux projets. « On va faire les cochons truffiers en traquant les livres et les idées, travailler le fonds en profondeur et surtout publier des auteurs parce qu'on est hyper convaincus », énumère la directrice, tout en affirmant sa volonté de faire perdurer l'esprit des lieux. Dans la vie comme dans le travail, Hélène Fiamma en est persuadée, on peut toujours être plus créatif qu'on ne croit. Une de ses qualités majeures, d'après Christophe Guias : « Elle n'est jamais là où on l'attend. » 

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