Compte-rendu

La Foire de Londres retrouve ses couleurs d’avant-Covid

La Foire de Londres 2023 a retrouvé ses couleurs d'avant-Covid - Photo The London Book Fair Facebook

La Foire de Londres retrouve ses couleurs d’avant-Covid

Le rendez-vous londonien a repris ses couleurs d’avant-pandémie. Les affaires reprennent avec la joie de se retrouver en nombre et sans masque, mais avec une certaine prudence liée à l’inflation et à la vie chère.

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Par Sean Rose , à Londres,
Créé le 20.04.2023 à 12h38 ,
Mis à jour le 21.04.2023 à 14h38

Les cerisiers de Hyde Park sont en fleur. Avril, c’est le retour du printemps à Londres, et celui des éditeurs. Comme à Francfort l’automne dernier, la visio c’est derrière, aujourd’hui c’est de visu ! La London Book Fair (LBF) accueille à nouveau les acteurs du livre du monde entier en chair et en os, et démasqués ! Et c’est à la résidence de l’ambassadrice de France nouvellement en poste que le Bureau international de l’édition française (BIEF) reçoit cette année, comme à chaque Foire de Londres, pour fêter « l’Entente cordiale » entre la patrie de Shakespeare et celle de Molière.

La Foire de Londres retrouve ses couleurs d’avant-Covid. À l’Olympia London, où a lieu ce rendez-vous international pour les cessions de droits, l’effervescence, la joie de se revoir, est bien là. Car rien ne remplace la rencontre incarnée, ces échanges réels grâce auxquels on découvre des pépites par sérendipité, où les affinités électives se dévoilent par le small talk ou le sel d’une conversation. « Même si je ne repartirai pas avec dix révélations dans mon sac, avoue Jean Mattern, aujourd’hui aux rênes de l’éditorial chez Christian Bourgois, le réseau se constitue dans la durée, ce qui est important est de le cultiver par sa présence dans les foires. C’est comme ça que les agents connaissent vos goûts, vont vous faire lire un manuscrit en priorité. » Quoi qu’il en soit, « c’est back to business » selon la formule lapidaire de Michèle Kanonidis de La Nouvelle Agence.

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Inflation et coût du papier 

Mais quelles affaires en ces temps inquiétants d’inflation, de la montée en flèche du coût de l’énergie et du papier ? Tel un leitmotiv, the cost of living, autrement dit « la vie chère », revient sur toutes les lèvres. Comment ajuster le prix des livres sans qu’en soit trop affecté le lecteur ? Si certains éditeurs l’ont déjà fait en l’augmentant d'un ou deux euros, tout le monde est regardant sur la grosseur de l’ouvrage pour limiter les coûts de traduction. Côté livres pratiques – souvent illustrés –, on privilégiera, par exemple, le dessin en noir et blanc. Alors dans un segment déjà assez étroit, tel que le domaine étranger, le maître mot reste la prudence. « Les traductions, tous livres confondus – de la fiction à l’essai en passant par les mangas –, c’est 18 % en France, 6 % au Royaume-Uni, 3 % aux États-Unis », rappelle Nicolas Roche, directeur général du BIEF.

LBF 23
Le stand français de la London Book Fair 2023 - Photo LH

Alors traduire, oui, mais y regarder à deux fois. Si chacun se met sous l’égide de Métis, la déesse du conseil avisé, beaucoup ont recours à ces mortels nommés scouts, qui flairent les goûts et les tendances. Aguerrie dans ce métier de repérage, la scout Cristina De Stefano observe en cette édition 2023 de la LBF, outre l’amicale effervescence susmentionnée et la prudence générale, deux choses émergentes pour ce qui est de l’édition hexagonale : « la littérature féminine populaire à la Melissa Da Costa » (son nouveau roman Les Femmes du bout du monde a paru en mars chez Albin Michel), et le cosy mystery, ces polars sans effusion de sang avec des gentils enquêteurs amateurs pleins d’humour, dans la veine de la série Agatha Raisin de M. C. Beaton. De ce côté-ci de la Manche, ça donne, version armoricaine, La Breizh Brigade de Mo Malo (Les Escales) ou style rétro, Les folles enquêtes de Magritte et Georgette de Nadine Monfils (Robert Laffont).

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Littérature et sciences humaines 

Si l’édition française investit désormais ces genres qui ont longtemps été l’apanage des éditeurs anglo-saxons, la marque de fabrique de la fiction made in France demeure intacte : l’image littéraire. Image que n’a fait que conforter la récente attribution du prix Nobel à Annie Ernaux. Les Guerres précieuses de Perrine Tripier (Gallimard), primo-romancière de 24 ans, ou Le Livre du large et du long de Laura Vazquez (Éditions du Sous-Sol), qui vient de la poésie et est l’autrice de pièces poétiques sonores, ont suscité de l'intérêt.

Orla King, éditrice chez Pan Macmillan, quant à elle, se réjouit que sorte aujourd’hui dans les librairies britanniques An Honourable Exit d’Éric Vuillard (Une sortie honorable du Goncourt français, vendu par Actes Sud à Picador, inprint de Macmillan). 

Leila Slimani intervenant à la Foire du livre de Londres 2023
Leila Slimani intervenant à la Foire du livre de Londres 2023- Photo THE LONDON BOOK FAIR FACEBOOK

Quid des sciences humaines ? Qu’a-t-on pu repérer ? Séverine Nikel, directrice littéraire au Seuil et Vincent Casanova, directeur-adjoint sciences humaines, attestent un marché des essais qui reflète les préoccupations géopolitiques et politique du moment. « Beaucoup de “new world order”. Il y a une récurrence des termes : démocratie, populisme, voire fascisme. Le climat et l’environnement, notre rapport au vivant, sont toujours très présents, mais des angles nouveaux apparaissent : l’animal – de la paléozoologie à l’interspécisme – ou l’alimentation – nous avons vu chez Bloomsbury une histoire de l’oignon. Enfin, l’espace, pas tant comme nouvelle frontière mais aussi comme domaine de l’extension économique… »

Dans la même maison, les sciences humaines ont été plutôt conquérantes. Maria Vlachou, directrice des droits étrangers au Seuil, s’est réjouie d’un deal exceptionnel avec un chiffre à plusieurs zéros – les droits d’À l’aube de nouveaux horizons de l’astrobiologiste Nathalie A. Cabrol vendus à un grand éditeur américain. De la vulgarisation scientifique qui, d’habitude, traverse l’Atlantique pour arriver traduite en français… Comment l’expliquer ? Maria Vlachou répond : « Les canaux classiques sont saturés, il faut continuer d’étonner, d’émerveiller par des livres singuliers ; c’est notre cœur de métier. »

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