Dans Pas moins que lui, Violaine Bérot faisait entendre la voix de Pénélope attendant Ulysse. C’était en 2013, chez Lunatique. Cet éditeur a récemment réédité de la même auteure Tout pour Titou paru chez Zulma en 1999, et Jehanne, son premier roman, paru il y a vingt ans chez Denoël. Après une contribution dans la série du Poulpe (repris chez Cairn) en 2000, cette romancière à éclipses n’a rien écrit pendant plus de dix ans. Elle élevait des chèvres dans les montagnes des Hautes-Pyrénées où elle est née et vit toujours.

Elle arrive chez Buchet-Chastel avec un très beau texte, un conte de fées, si l’on veut, mais sombre et sans merveilleux, où la princesse est silencieuse, solitaire et ne veut pas d’enfants. Forte et cassée. Elle n’a pas de prénom. Elle est seulement l’aînée. La première fille qui veille sur ses "innombrables petits frères et sœurs". Du nourrisson à la femme adulte, c’est le roman d’une "fillette à la désastreuse naissance", gardienne d’une "portée" qui vit dans l’ombre du "fol amour", de "la mutuelle adoration" des parents. Le roi-père est l’amoureux enragé d’une reine-mère indifférente au sort de sa progéniture. Les rôles sont inversés. Plus tard, quand la princesse, dont les mains parlent mieux que la bouche, aura quitté la maison familiale pour la grande ville, les princes charmants sur sa route seront doux et tristes ou auront déjà "une femme de leur vie".

Ce qui rend ce roman envoûtant, c’est ce "on", si présent, qui raconte. Cet article indéfini pour un narrateur qui est toujours là, même s’il ne voit pas tout, ne sait pas tout et ne peut rien. Qui observe avec prévenance, commente, émet des hypothèses, s’émeut, s’inquiète aussi… "On ne se lasse pas de regarder le père dans son attention inouïe à la mère. On voudrait connaître des mots jamais dits pour raconter cette tendresse." Violaine Bérot en trouve de magnifiques pour accompagner cette princesse sur son chemin plein d’entraves pour aimer et être aimé. Véronique Rossignol