Livres Hebdo - Que retenez-vous de l’année 2013 ?
Vincent Montagne - Sur le plan économique, 2013 aura été une année difficile. Le premier semestre n’a pas été brillant, mais à peu près conforme à nos prévisions. Le deuxième semestre en revanche a été plus mauvais, ce qui est inhabituel et inquiétant compte tenu de son poids économique relativement élevé. Heureusement, les ventes de Noël ont été excellentes, ce qui a un peu amorti la baisse.
L’année aura surtout été particulièrement déstabilisante : dès janvier, elle s’est ouverte sur un coup de tonnerre avec la faillite de Virgin, une défaillance dont nous mesurons le coût pour le secteur à environ 25 millions d’euros. Cette catastrophe a été suivie par le dépôt de bilan de Chapitre. Avec les pouvoirs publics, la profession a pu limiter la casse. Des éditeurs, comme Albin Michel ou Gallimard, mais aussi l’Adelc par son action de soutien, se sont mobilisés. Il était important de distinguer la mauvaise gestion historique des actionnaires de Chapitre de la santé des librairies elles-mêmes. Un certain nombre d’entre elles pourront ainsi revivre avec d’autres actionnaires.
Quelques pistes d’espoir pour 2014 ?
On ne peut que se féliciter de la mobilisation de la profession pendant cette période difficile. L’action collective du syndicat, initiée les années précédentes, est apparue nécessaire, précieuse et efficace. On a rarement vu une telle détermination des auteurs et des éditeurs de parler d’une seule voix, à Paris ou à Bruxelles. Cette pression conjointe, solidaire et extrêmement forte, a ainsi permis que le Sénat vote la possibilité d’agir par ordonnance pour inscrire le nouveau contrat d’auteur dans le code de la propriété intellectuelle.
Même communauté de vues avec la librairie. Ensemble, les éditeurs ont décidé d’apporter un soutien financier exceptionnel à la librairie. La décision avait été prise en mai 2013 au cours d’un bureau à Arles, chez Actes Sud. Elle a été confirmée en décembre dernier, alors même que la baisse envisagée de la TVA de 5,5 à 5 %, sur laquelle cette contribution devait s’adosser, était supprimée. Au cours de l’année, nous avons été soutenus par l’engagement de la ministre de la Culture, Aurélie Filippetti. Avec son "plan librairie", mais aussi dans sa détermination sur d’autres dossiers, comme sur le contrat auteurs-éditeurs, elle a manifesté un sens de l’action envers les professions du livre, réaliste, déterminé et efficace.
Ce sont autant d’atouts pour 2014.
Quels sont aujourd’hui les dossiers qui vous paraissent prioritaires ?
Il faut se pencher sur le rôle futur des bibliothèques. Là aussi, le numérique rebat les cartes. Elles ont besoin d’une vision sur leur avenir, d’une stratégie. Nous poursuivrons notre action collective dans ce domaine, avec des réunions avec les principaux acteurs du secteur, bibliothécaires bien sûr, mais aussi auteurs, libraires, éditeurs, pouvoirs publics, de façon à aboutir, à l’été, pour le congrès de l’Ifla (1), à une liste de grands principes sur le prêt numérique. Avec une certitude : les libraires doivent être dans la boucle.
Le dossier Relire, pour la réexploitation du patrimoine littéraire du XXe siècle, est sur les rails. La mise en œuvre de la société de projet est en voie de finalisation, en même temps que la sortie le 21 mars de la deuxième liste des œuvres indisponibles. C’est aussi un résultat de l’action collective de 2013 avec un accord entre le Cercle de la librairie, le Commissariat général aux investissements d’avenir, la Caisse des dépôts, les éditeurs et les auteurs.
Ne craignez-vous pas que l’avis du Conseil constitutionnel, que le Conseil d’Etat a chargé de statuer sur la constitutionnalité de la procédure, n’entrave ce dossier ?
Dans ce projet, il n’y a pas de remise en cause du droit de propriété ; les auteurs peuvent sortir à tout moment du processus s’ils le désirent ; et surtout, on ne leur enlève rien : il ne s’agit pas d’une exception au droit d’auteur. Ils donnent simplement leur accord pour confier leurs droits à une société de gestion collective. Donc nous sommes tout à fait confiants.
C’est aussi sur le plan européen que les éditeurs ont à défendre leurs positions. Avez-vous bon espoir d’être entendu ?
Là encore, l’action collective est plus que jamais nécessaire. Nous avons surtout à nous battre contre la volonté hégémonique de certains acteurs anglo-saxons. Avec notre Rapport sur la France créative, nous avons voulu sortir de la problématique de "l’exception culturelle" qui risquait de donner l’impression que nous refusions une réalité internationale qui est aujourd’hui au cœur de nos métiers. Nous avons réussi à faire signer onze ministres sur l’importance de la culture dans la chaîne de valeur économique de création industrielle. Nous sommes arrivés à faire changer d’avis l’Allemagne sur la TVA. Ce n’est pas une petite bataille. Et sur le droit d’auteur, nous nous sentons désormais soutenus.
Cela dit, le danger est toujours là, puisque la Commission européenne, sous la pression permanente des lobbys, s’interroge sur la réouverture de la directive sur le droit d’auteur. Elle a lancé une consultation sur le droit d’auteur qui doit aboutir à un livre blanc au printemps. J’appelle les éditeurs et les auteurs à se mobiliser pour répondre en masse au questionnaire qui a été mis en ligne par la Commission et à montrer que le droit d’auteur n’est nullement un obstacle à la diffusion du livre. La défense du droit d’auteur est fondamentale, c’est le fer de lance de la création. Y toucher, c’est ouvrir grand la porte aux acteurs dominants d’Internet et aux monopoles technologiques.
Beaucoup d’éditeurs et de libraires s’inquiètent d’une baisse considérable de la lecture. N’est-ce pas un combat urgent ?
Soutenir de toutes les façons la lecture de livres fait partie de nos priorités. Le syndicat se bat à sa façon à travers Les Petits Champions de la lecture qui a pris une belle ampleur, avec déjà 600 classes inscrites pour l’édition 2014. Mais il faut aussi viser les adolescents et les étudiants qui lâchent la lecture, souvent victimes de la dispersion que provoque la tyrannie des nouvelles technologies. Et ceci n’est pas une querelle de génération, la lecture sur livre numérique ne compense pas aujourd’hui la baisse constatée sur le livre papier.
Le Salon du livre de Paris est aussi une formidable occasion pour remettre la lecture au centre. C’est tout de même une grande satisfaction de voir que le nombre de ses visiteurs progresse et que 1 200 éditeurs s’y presseront encore cette année. L’édition 2014, avec la littérature argentine et Shanghai, de grands pôles thématiques auxquels s’ajoute un espace Savoir et connaissance, s’annonce particulièrement remarquable.
Propos recueillis par Christine Ferrand
(1) A Lyon, du 16 au 22 août 2014.