Si je n'ai pas aimé un livre, je ne le co mmande pas, même s'il est passé dans les médias », affirme Gilles Bérat. S'il est attentif aux critiques de Télérama, du Monde des livres, du Figaro Magazine, de Livres Hebdo, du Magazine littéraire et du Canard enchaîné, le libraire du Roi lire, à Sceaux, n'anticipe pas ses stocks en fonction des médias. « Je fonctionne au coup de cœur », revendique Gilles Bérat, qui voit surtout dans les médias un moyen de lui « donner envie de lire un ouvrage qui [lui] aurait échappé ».

Les librairies de premier niveau disent ne pas avoir ressenti une pression accrue du rôle des médias depuis un an, et ils sont un tiers à ne jamais mettre en avant un livre promu à la télévision, selon le sondage Livres Hebdo/I+C. Les libraires interrogés assurent au contraire fonctionner au coup de cœur. Cela fait bien longtemps qu'ils se sont séparés du bandeau « Vu à la télé ». « On ne met en avant que des livres que nous avons lus ou aimés », confirme Romain Cabane, de la librairie des Danaïdes à Aix-les-Bains. Par manque de temps, il regarde « assez peu » les médias mais s'informe dans Page des libraires, revue à laquelle il contribue.

« Les éditeurs nous envoient une foule d'informations, je n'ai pas besoin d'aller voir ailleurs », renchérit Stéphane Nédelec, à la tête depuis un an de La Pieuvre (Auxerre), spécialisée en BD. « Delcourt-Soleil a un espace dédié aux libraires sur son site Internet avec des argumentaires et des planches six mois avant la publication. C'est aussi par ce biais-là que je sais si un album va être mis en avant dans les médias ou adapté au cinéma. » Cela ne l'empêche pas de « surveiller » les médias traditionnels, comme Télérama, pour « [se] tenir prêt à commander en conséquence ».

En jeunesse, la prescription est plus compliquée. Sylvie Chabeau, gérante de La Mare aux diables à Dunkerque, regrette que ce secteur « ne soit pas forcément représenté dans les médias ». Ce ne sont pas les programmes de cette nouvelle saison qui vont lui donner du baume au cœur. De toute façon, elle estime qu'en tant que librairie indépendante « [son] rôle est de proposer autre chose, de privilégier des ouvrages qu'[elle] va pouvoir défendre ».

Gestion des stocks

« Je ne mets pas spécifiquement en avant un livre dont les médias ont parlé, je vérifie simplement que je l'ai en stock et j'ajuste les commandes », explique Jean-Claude Deteix, gérant du Talon d'Achille à Montluçon. Comparée à 2015, la mise en avant de livres promus à la télévision dans les librairies de premier niveau a reculé de 27 points pour les tables et de 10 points pour les vitrines, alors qu'elle a progressé dans les hypermarchés et les grandes surfaces culturelles.

Jean-Claude Deteix n'est pourtant pas réfractaire à la prescription médiatique, au contraire. Il s'intéresse à « La grande librairie », Télérama, Livres Hebdo, Le Monde des livres, Lire, « Le masque et la plume », « Boomerang », énumère-t-il tout en demandant à sa collègue, Nadia Oules, s'il n'oublie rien. Médiavore, il reconnaît tout de même de pas pouvoir tout lire. « Dans Télérama, je me contente des livres qui ont trois T. Pour Le Monde des livres, je ne lis que le papier principal », explique-t-il. En revanche, chaque samedi, il est attentif à la newsletter de « La grande librairie » qui annonce la liste des futurs invités. « Si je n'ai pas leurs ouvrages, je les commande tout de suite », affirme-
t-il tout en regrettant la programmation de l'émission le mercredi au lieu du jeudi, qui l'empêche désormais de recevoir les livres à temps.

A Caen, Nicolas Coulmain, propriétaire de La Nouvelle Librairie Guillaume, est « sensible » aux médias parce que ses clients le sont. Selon lui, « ils restent incontournables », notamment « La grande libraire » qui a un « grand impact », « La grande table » ou « Le masque et la plume ». « J'appuie la présentation, le conseil et la vitrine. Je gère les stocks en conséquence. Mais uniquement si la médiatisation d'un ouvrage correspond à nos goûts », nuance-t-il.

Chez Mollat, à Bordeaux, l'équipe de Pierre Coutelle, responsable du pôle littérature et sciences humaines, reste « vigilante » à la prescription médiatique. « Nous regardons tout ce qui parle des livres, précise-t-il, Télérama, L'Obs, L'Express, Livres Hebdo,la page livre de Sud-Ouest le dimanche, qui est très très prescriptrice, Radio France... » Parfois, les libraires sont « informés des passages dans les médias par les lecteurs eux-mêmes, surtout pour "Télématin" ».

S'il accorde une importance aux médias, Pierre Coutelle n'en voit pas moins un changement de paradigme : « Les libraires sont eux-mêmes devenus des médias avec les réseaux sociaux, les sites Internet et les vidéos. Les lecteurs n'attendent pas que nous ayons lu des livres mais que nous ayons un discours dessus. Parfois, certains
lecteurs viennent avec une page
imprimée de notre site Internet en nous disant : "Je veux ce livre."
 »
Cécilia Lacour

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